Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/80

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contre lui. Mais il ne recula pas, et elle eut peur des yeux fixes où flambaient deux phares verts. Elle se courba, s’aplatit, devint douce. Et lui, brutalement, la souffleta de sa patte, la jeta par terre et la couvrit. Les deux bêtes accouplées s’immobilisèrent. Le tigre, triomphant, continuait de gronder.

Excitée et peureuse, Liseron serrait la main de Fierce et regardait avidement, haletante un peu. Chaque rugissement crispait davantage ses ongles, et quand la tigresse obtint enfin la récompense de sa pudeur, la paume égratignée saigna.

Fierce regarda sa main, puis la jeune femme :

— « Ça ne vous déplairait pas d’être tigresse… »

Elle lui frappa le bras de son éventail :

— « Taisez-vous, vous ! »

C’était fini, dans la cage. Le tigre, à quatre pas de sa femelle couchée, s’était assis, silencieux, orgueilleux, ses yeux droits devant lui, sans regard.

— « Vous êtes à pied ? demanda Fierce.

— Non, par exemple ! Ma voiture est dans l’allée. Vous avez la vôtre ?

— Non, je suis venu en me promenant.

— Vous n’allez pas rentrer à pied par ce soleil ?

— Il faudra bien.

— C’est fou ! Il y a de quoi tomber comme une mouche… Si vous n’étiez pas en uniforme, je vous offrirais bien une place…

— Mais, pourquoi pas ?

— Dame, tout le monde vous verra.

— Et puis après ?