Page:Claude Leleu - Histoire de Laon, ms. inédit, t. II, (p. 677-692, p. 884-885).pdf/18

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[p. 688] Il estoit si détaché de l’amour des biens temporels qu’il n’a jamais voulu se servir des voyes de la Justice pour se faire payer de ce qui luy estoit dû, ayant par cette raison, perdû des sommes très considérables. Il fut recherché par d’habiles gens pour entrer dans leurs intérêts au sujet des disputes de la grâce. On luy offrit des bénéfices, des pensions et d’autres secours. Il refusa, déclarant que la part qu’il y avoit à prendre étoit de s’attacher à l’Eglise.

Il avoit un grand zèle pour l’Eglise. Il vouloit qu’on s’y comportast avec une modestie angélique. Estant à la prédication dans l’église du monastère de la Congrégation à Laon, il y remarqua deux officiers du Présidial qui parlaient assez haut et paroissoient oublier et le ministère du prédicateur et la révérence du lieu où ils étoient. Il alla doucement à eux. Il en prit un par la main et pria l’autre de suivre. Les ayant tiré dans la cour, il leur déclara qu’il avoit pris la liberté de les y faire venir à cause du scandale qu’ils causoient, qu’ils n’ignoroient pas la sainteté du lieu où ils étoient et par conséquent la modestie, l’humilité et le respect qu’ils y devoient avoir. Ces Messieurs, surpris et estonnés le remercièrent et se retirèrent.

Il avoit une telle dévotion pour le S. Sacrement de l’autel qu’en quelque lieu qu’il le rencontrast, il ne manquoit jamais à tous les saluts et expositions qui s’en faisoient. Il se trouva à Laon le jour de la feste du S. Sacrement. Il se revestit du surplis et assista à la procession solennelle du très S. Sacrement avec le clergé. An retour, il prit place dans le chœur avec les chapelains et un stalle bas.[1] On l’invita par honneur de monter en haut. Il le refusa et ses proches luy demandèrent pourquoy il s’était donné cette liberté. Il fit responce que l’églie catedrale étant l’église matrice, il croyoit qu’un prestre du diocèse pouvoit y prendre particulièrement dans une cérémonie aussy auguste.

Il ne pouvoit souffrir les ecclésiastiques qui mettoient des habits séculiers et qui disoient la ste messe en soutanelle. Etant malade dans un château auprès de Reims où il y avoit une chapelle domestique, un prestre se présenta pour demander à dire la messe. Comme il vit qu’il n’avoit pas de soutane, quoy que fort habile homme, qu’il estoit mesme revêtu des habits sacerdotaux, il alla pour l’arrester. L’autre, surpris de cette démarche, voulût luy faire entendre qu’il n’y avoit pas d’obligation d’offrir le sacrifice en soutane. Il luy [p. 689] fit connoitre mesme par les rubriques du missele que cela estoit deffendu. Ce prestre avoüa qu’il ne les avoit jamais lues mais qu’étant à la moisson pour amasser les dixmes, la soutane l’embarrasseroit, d’ail-

  1. Le Dictionnaire de Richelet ignore le mot « stalle » qui est aujourd’hui du genre féminin. Il était donc technique, propre au langage du clergé. Littré remarque : « Ce mot a été longtemps masculin ; quelques-uns lui donnent encore ce genre en parlant des stalles d’église » (Dictionnaire, 1878). On le rencontrait pourtant dès le xve s., mais avec la graphie et la prononciation « estale ».