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Page:Clausewitz - Théorie de la grande guerre, I.djvu/20

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chap. i. — de la stratégie.

voyante insouciance avec laquelle le Roi faisait camper ses troupes, et du danger auquel il s’exposait ainsi. On en pourrait dire autant des marches qu’il faisait exécuter à son armée, sous les yeux, souvent même sous le canon de l’ennemi.

Mais Frédéric ne marchait et ne campait ainsi, que parce qu’il trouvait dans la manière de procéder, dans les formations, le caractère et la responsabilité de Daun, des garanties de sécurité telles, que, quelque hardiesse qu’il apportât à ses prises de camp et à ses marches, il pouvait ne les pas considérer comme téméraires. L’esprit de décision, la hardiesse et la force de volonté du Roi lui permettaient, en effet, d’envisager clairement et sans les redouter, des situations dont on signalait encore le danger trente ans plus tard ! Il est certain que, dans de pareilles circonstances, peu de généraux en chef eussent osé recourir à des moyens stratégiques si simples.

Il est, enfin, un autre genre de difficulté dans l’exécution, d’un ordre et d’une nature tout différents, dont la campagne de 1760 fournit un exemple remarquable. On y voit, en effet, l’armée du Roi continuellement en mouvement. Deux fois (au commencement de juillet et au commencement d’août) elle gagne les derrières de Daun, et, par des chemins de traverse, se porte de l’Elbe en Silésie. Poursuivie par Lascy, elle doit sans cesse être prête à combattre, ce qui la contraint à se mouvoir invariablement dans un ordre dont la régularité exige une extrême dépense de forces. Bien que traînant avec elle un convoi considérable qui l’alourdit, elle ne pourvoit à son entretien qu’avec les plus grandes difficultés. En Silésie, avant la bataille de Liegnitz, elle exécute, huit jours durant, d’incessantes marches de nuit qui la portent alternativement de la droite à la gauche du front de l’ennemi. Enfin, dans ces