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de la stratégie en général.

efforts prodigieux, elle est soumise aux plus rudes privations !

Croit-on que tout cela puisse se produire sans une effroyable usure de toute la machine ? Un général peut-il, le cœur léger, ordonner des mouvements qui coûtent de tels efforts et de pareilles souffrances ? La vue de tant de misère, de tant de fatigues, de si terribles privations, ne torture-t-elle pas, sans cesse, le cœur des chefs et surtout celui du généralissime ? Ce dernier ne perçoit-il pas les plaintes qui s’élèvent autour de lui ? La nature de l’homme comporte-t-elle une somme d’énergie telle, qu’on soit en droit d’exiger de lui qu’il en fasse une si extrême dépense ? Enfin, à moins qu’elle n’ait la confiance la plus illimitée dans la valeur et l’infaillibilité de son chef, demander à l’armée de si prodigieux efforts, ne sera-ce pas, inévitablement, provoquer de sa part la résistance, le désordre et l’indiscipline, et, par conséquent, anéantir en elle toute trace de vertu guerrière ?

Tels sont, cependant, les miracles que le grand Frédéric sut produire, et dont, plus qu’aucun chef d’armée, il eut le secret ! Voilà ce qui appelle notre respect, voilà les merveilles d’exécution qu’il faut admirer ! Mais ce sont là des qualités du commandement dont on ne peut saisir l’extrême grandeur, qu’alors que l’expérience en a déjà révélé la puissance entraînante, et qui restent lettres mortes pour qui ne connaît la guerre que par la lecture des livres et les exercices du terrain de manœuvres. Qu’à défaut d’expérience, on nous prête donc ici foi et confiance, et qu’on nous croie, en cela, sur parole.

Nous avons voulu, par cet exemple, donner plus de clarté à l’ensemble de notre sujet. Dans les chapitres suivants, nous procèderons du simple au composé, caractérisant tout d’abord individuellement, et selon