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de la stratégie en général.

et des considérations extérieures avec lesquelles ils sont aux prises, que précisément dans la mesure de ce qu’ils possèdent et ont toujours possédé de facultés intellectuelles natives. C’est là l’origine de ce proverbe français tant de fois confirmé par l’expérience :

Tel brille au second rang, qui s’éclipse au premier.

Presque tous les généraux dont l’histoire révèle la médiocrité et l’indécision dans le commandement en chef, s’étaient montrés hardis et pleins de résolution dans les grades inférieurs.

Il y a des distinctions à faire entre les motifs qui inspirent une action hardie. On peut y avoir volontairement recours ; on peut aussi y être plus ou moins contraint par les circonstances. Là où il y a urgence, là où, malgré la situation la plus périlleuse, ne pas poursuivre son but ne conduirait qu’à des dangers non moins grands, c’est l’esprit de résolution qui décide seul, et non pas la hardiesse. Un cavalier se montre hardi lorsque, pour faire voir son habileté, il franchit un obstacle considérable, tandis qu’il ne fait preuve que de résolution en franchissant un large précipice, pour échapper à une bande de brigands acharnés à sa poursuite et à sa vie.

On voit ainsi que plus il y a urgence immédiate à produire une action, plus le but à atteindre est visible et prochain, et moins grande est la part qui revient à la hardiesse. Par contre, plus le résultat à obtenir est éloigné, plus l’esprit a d’éventualités à prévoir pour se rendre compte de ce que l’action produira, et plus il faut de hardiesse pour prendre une détermination. En 1756, dès que Frédéric le Grand eut compris que la guerre était inévitable, se sentant perdu s’il ne surprenait et devançait ses ennemis, il entra aussitôt en campagne. Il est certain qu’il n’agit ainsi que contraint de le faire, mais que de prévoyance et de hardiesse, tout à