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chap. vi. — la hardiesse.

la fois, dans cette décision ! combien peu d’hommes, dans sa situation, eussent osé agir ainsi !

On comprend que le calcul stratégique, bien qu’il ne ressortisse qu’au général en chef et aux chefs de premier rang, n’ait qu’à gagner à ce que l’esprit de hardiesse, ainsi que les autres vertus guerrières, pénètrent la masse entière de l’armée. Avec des troupes issues d’un peuple hardi, et dans lesquelles cet esprit est soigneusement entretenu, on peut, en effet, viser de bien autres résultats et entreprendre de bien plus grandes choses qu’avec des troupes auxquelles ce caractère reste étranger. C’est pour cette raison que nous ne nous sommes guère occupé, jusqu’ici, de la hardiesse qu’au point de vue de la masse des troupes, bien que, à proprement parler, nous ayons surtout à tenir compte de la hardiesse dans le commandement.

Il ne nous reste, d’ailleurs, que peu de choses à dire à ce propos.

Plus le grade s’élève, plus il exige de pénétration d’esprit, de lumières acquises, de tact et de jugement, et plus il refoule la hardiesse et les autres fonctions de l’instinct. C’est ce qui rend celle-ci si rare et si admirable à la fois, dans les hautes situations. Dirigée par un esprit supérieur, la hardiesse devient le cachet des héros, et loin d’aller contre la nature des choses et les lois de la vraisemblance, elle concourt au calcul sublime du génie, alors qu’inspiré par le seul tact du jugement, presque inconscient mais prompt comme l’éclair, celui-ci prend une décision suprême. Plus les ailes que la hardiesse donne alors à l’esprit sont puissantes, et plus haut le porte son essor, plus sa vue s’étend, plus se dessine et s’accuse le résultat auquel il peut atteindre ; dans ce sens, toutefois, qu’avec la grandeur du but, croît aussi la grandeur des dangers. Dans la méditation du cabinet, loin encore de la responsabilité et des hasards