par exemple, n’en tiendrait aucun compte ; mais il faut considérer que, depuis lors, la guerre a subi bien des changements, qu’elle est animée d’une toute autre énergie et que des positions qui pouvaient être efficaces à cette époque ne le seraient plus aujourd’hui. Il faut enfin songer au caractère des adversaires, et reconnaître que ces dispositions eussent pu être imprudentes contre Frédéric, mais que, prises par lui et contre l’armée de l’Empire, contre Daun et contre Butterlin, elles pouvaient être le comble de la sagesse.
Le succès, d’ailleurs, a justifié cette manière de voir, et le Roi a ainsi tranquillement atteint son but et tourné des difficultés contre lesquelles ses forces se seraient brisées.
Au début de la campagne de 1812, le rapport des forces entre les armées opposées était encore plus défavorable pour les Russes qu’il ne l’avait été pour Frédéric le Grand pendant la guerre de Sept ans. Les Russes, cependant, avaient en perspective de recevoir des renforts considérables au courant de la campagne. De son côté, Bonaparte avait à faire face à une guerre très coûteuse en Espagne ; sa puissance, bien qu’arrivée à son apogée, était déjà très ébranlée ; l’Europe entière était secrètement contre lui, et, par une retraite de 740 kilomètres de longueur, les vastes dimensions de la Russie allaient permettre de porter l’épuisement de ses forces à ses plus extrêmes limites. Dans ces conditions, à moins que l’empereur Alexandre ne fit la paix ou que ses sujets ne se révoltassent, on n’avait pas seulement à compter sur une très forte réaction, mais cette réaction pouvait même conduire l’envahisseur à sa perte. La plus haute sagesse n’eut donc pu indiquer un meilleur plan que celui que les Russes adoptèrent sans soupçonner les effets qu’il allait produire.