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chap. ix. — renversement de l’ennemi.

d’Austerlitz et de Friedland, qui ne scellait ses conquêtes que par des coups éclatants frappés à l’extrême frontière de l’État envahi ! Comment ! hésitant et craintif, il laisse la résistance se concentrer autour de Moscou au lieu de se jeter sur cette capitale ouverte et de s’en emparer ! Il a le bonheur inouï de surprendre une puissance colossale et lointaine comme s’il ne s’agissait que d’une province voisine, ainsi que fit Frédéric II de la petite Silésie, et, sans tirer parti de cet avantage, il s’arrête tout à coup comme paralysé dans sa marche victorieuse !!! »

Tel est le jugement qu’en pareil cas on eût certainement porté sur Bonaparte.

Nous affirmons que la campagne de 1812 n’a échoué que parce qu’elle ne pouvait absolument pas réussir, c’est-à-dire parce que le gouvernement russe n’a pas faibli et parce que le peuple est resté fidèle et constant. Il se peut que Bonaparte ait commis une faute en l’entreprenant, et le résultat a pour le moins montré qu’il s’était trompé dans ses calculs, mais nous prétendons que, du moment qu’il se proposait un pareil but, il ne le pouvait atteindre que par les grandes lignes qu’il a suivies.

Au lieu de s’embarquer à l’est de l’Europe dans une guerre défensive interminable et coûteuse comme celle qu’il avait déjà à soutenir en Espagne, Bonaparte recourut au seul procédé qui fût applicable en Russie. Il chercha, par l’audace même de son attaque, à frapper son adversaire de stupeur et à lui arracher la paix. Il est certain qu’en agissant ainsi il exposait son armée au danger de succomber à la tâche, mais il le savait bien, et tel fut précisément l’énorme enjeu qu’il mit volontairement à cette partie colossale, au gain de laquelle il attachait tant de prix ! Si cependant ses pertes ont été supérieures à ce qu’elles devaient fatale-

iii. 14