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Page:Cleland - La Fille de joie (éd. 1786).djvu/309

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Après lui avoir rendu les derniers devoirs de la ſépulture, je regrettai ſincérement mon bienfaiteur, dont le tendre ſouvenir ne ſortira jamais de ma mémoire, & dont je louerai toujours le bon cœur.

J’avois alors atteint ma vingtieme année ; j’étois belle, j’étois riche. De tels avantages devroient être plus que ſuffiſans pour ſatisfaire quiconque les poſſede ; néanmoins, ſemblable au malheureux Tantale, je voyois mon bonheur ſans le pouvoir goûter. Tandis que je vivois chez Madame Cole, le délire de la débauche avoit en quelque maniere ſuſpendu mes regrets & banni de mon cœur le ſouvenir de ſa premiere paſſion. Mais dès que je me vis rendue à moi-même, & affranchie de la néceſſité de me proſtituer pour vivre, Charles reprit ſon empire ſur mon ame : ſon image adorable me ſuivit par-tout, & je ſentis que s’il n’étoit témoin de ma félicité,