Page:Cleland - La Fille de joie (éd. 1786).djvu/89

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faire de moi ce qu’il vouloit ; ma vie étoit à lui ; je me ſerois crue trop heureuſe de mourir d’une main ſi chere.

Je paſſai dans de ſemblables réflexions ce jour-là, qui me parut une éternité. Combien de fois ne me prit-il pas envie d’avancer la pendule, comme ſi ma main eût pu hâter le tems ? Je ſuis ſurpriſe que les gens de la maiſon ne remarquerent pas alors quelque choſe d’extraordinaire en moi, ſur-tout lorſqu’à dîner on vint à parler de cet adorable mortel qui avoit déjeûné au logis. Ah ! s’écrioient mes compagnes, qu’il eſt beau ! qu’il eſt complaiſant, doux & poli ! elles ſe ſeroient arraché le bonnet & les yeux pour lui. Je laiſſe à penſer ſi de pareils diſcours diminuoient le feu qui me conſumoit. Néanmoins l’agitation où je fus toute la journée, produiſit un bon effet. Je dormis aſſez bien juſqu’à cinq heures du matin ; je me gliſſai incontinent hors du lit, & m’étant habillée en un clin