Page:Cleland - La Fille de joie (éd. 1786).djvu/93

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n’étoit-ce pas mon penchant qui me l’avoit fait faire ?

En quelques minutes (car alors les heures n’étoient plus rien pour moi) nous deſcendîmes à Chelſea, dans une fameuſe taverne réputée pour les parties fines. Nous y déjeunâmes avec le maître de la maiſon, qui étoit un réjoui du vieux tems, & parfaitement au fait du négoce. Il nous dit d’un ton gai, & en me regardant malicieuſement, qu’il nous ſouhaitoit une ſatisfaction entiere ; que ſur ſa foi, nous étions bien appariés ; que grand nombre de Meſſieurs & Dames fréquentoient ſa maiſon ; mais qu’il n’avoit jamais vu un plus beau couple ; qu’il jureroit bien que j’étois du fruit nouveau ; que je paroiſſois ſi fraîche, ſi innocente, & qu’en un mot mon compagnon étoit un heureux mortel. Ces éloges, quoique groſſiers, me plurent infiniment, & contribuerent à diſſiper la crainte que j’avois de me trouver ſeule