Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/19

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« J’allai dîner à toutes les tavernes de bon et de mauvais ton pour me faire aux mœurs de ces insulaires si grands et si petits. »


C’est dans les tavernes que l’on invitait à dîner ses amis.


« À Londres, dit Casanova, on peut bien inviter un homme comme il faut à dîner en compagnie à la taverne, où il paye son écot, c’est l’habitude, mais non à sa propre, table. Je fus un jour invité, au parc Saint-James, par un cadet du duc de Beaufort, à manger des huîtres et à boire une bouteille de champagne. J’acceptai, et arrivé à la taverne il commanda des huîtres et une bouteille de champagne. Mais nous en bûmes deux, et il me fit payer la moitié de la seconde. Telles sont les mœurs au delà de la Manche. On me riait au nez quand je disais que je mangeais chez moi, parce qu’aux tavernes on ne donnait pas la soupe : — Êtes-vous malade ? me disait-on, car la soupe n’est bonne que pour les gens malades. » L’Anglais est souverainement carnivore ; il ne mange presque pas de pain et se prétend économe, parce qu’il épargne la dépense de la soupe et du dessert, ce qui m’a fait dire que le dîner anglais n’a ni commencement ni fin. La soupe est considérée comme une grande dépense, parce que les gens de service même ne voudraient pas manger de la viande qui aurait servi à faire le bouillon. Ils prétendent que le bouilli n’est bon que pour être donné au chien. Au fait, le bœuf salé qui leur en tient lieu est excellent. Il n’en est pas de même de leur bière, à laquelle il me fut impossible de m’accoutumer, son amertume me paraissant insoutenable. Au reste, ce qui contribua peut-être à m’en dégoûter, ce furent les vins excellents