Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/18

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espèce. Je vous connais de réputation, et, si je ne me trompe, vous êtes parent de Calsabigi, qui m’a parlé de vous. J’ai lu quelques-unes de vos satires.

« — Oserais-je vous demander à qui j’ai l’honneur de parler ?

« — Je me nomme Seingalt. Avez-vous achevé votre édition du Décaméron ?

« — J’y travaille encore et je tâche d’augmenter le nombre de mes souscripteurs.

« — Si vous me voulez, je vous prie de me mettre du nombre.

« — Vous me faites honneur.

« Il me donna un billet, et voyant que ce n’était qu’une, guinée, je lui en pris quatre, puis, me levant pour m’en aller, je lui dis que j’espérais le revoir au même café, dont je lui demandai le nom. Il me le dit, étonné que je l’ignorasse. Je fis cesser son étonnement en lui disant que je n’étais à Londres, pour la première fois, que depuis une heure.

« — Vous serez, me dit-il, embarrassé de retourner chez vous ; permettez-moi de vous accompagner.

« Dès que nous fûmes sortis, il me prévint que le hasard m’avait conduit au café d’Orange, le plus décrié de Londres.

« — Mais vous y allez !

« — Moi, je puis y aller, escorté du vers de Juvénal :

Cantabit vacuus coram latrone viator.

Les fripons n’ont aucune prise sur moi ; je les connais, ils me connaissent ; nous ne nous parlons point. »

S’il ne retourna pas au café d’Orange, Casanova voulut connaître toutes les tavernes.