Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/22

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« — Celle-ci est donc le double plus belle ? lui dis-je.

« — Ce n’est pas précisément le cas, mais elle fait cocu un duc et pair de la Grande-Bretagne qui l’entretient et qui n’en use qu’une ou deux fois par mois.

« … N’ayant rien à faire ce jour-là, j’envoyai Jarbe[1] chez l’une des belles que Pembroke avait taxées à quatre guinées, en lui faisant dire que c’était pour dîner tête à tête avec elle.

« Elle vint, mais, malgré l’envie que j’avais de la trouver aimable, je ne la trouvai bonne que pour badiner un instant après dîner. Elle ne devait pas s’attendre à quatre guinées que je ne lui avais pas fait gagner ; aussi je la renvoyai fort contente en les lui mettant dans la main. La seconde, au même taux, soupa avec moi le lendemain ; elle avait été fort jolie ; elle l’était encore ; mais je la trouvai triste et trop passive, de sorte que je ne pus me résoudre à la faire déshabiller.

« Le troisième jour, n’ayant point envie d’essayer encore d’un troisième billet, j’allai à Covent-Garden, et m’étant trouvé face à face d’une jeune personne attrayante, je l’abordai en français, en lui demandant si elle voulait venir souper avec moi.

« — Que me donnerez-vous au dessert ?

« — Trois guinées.

« — Je suis à vos ordres.

« Après le théâtre, je me fis servir un bon souper pour deux, et elle me tint tête comme je l’aimais. Quand nous eûmes soupé, je lui demandai son adresse, et je fus fort surpris quand je trouvai que c’était l’une de celles que lord Pembroke m’avait taxées à six guinées. Je jugeai qu’il

  1. Le domestique nègre de Casanova.