Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/26

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Ces maisons, qui existaient encore au commencement du XIXe siècle, étaient montées avec magnificence. Ce n’étaient que tapis précieux, meubles somptueux. On y trouvait tout ce qui pouvait flatter les sens, dont aucun n’avait été oublié. Les Anglais s’y livraient à la débauche la plus dispendieuse. Un jeune homme de Southampton, qui n’avait jamais mis les pieds à Londres, vint à perdre son père, qui le laissa maître d’une fortune de 4o,ooo livres sterling.

Notre héritier voulut visiter la capitale et, arrivé à Londres, il descendit dans un bagnio dont il ne voulut plus sortir. Peu accoutumés à recevoir des gens aussi prodigues, les tenanciers du bagnio résolurent de plumer le pigeon. On l’entoura de good companions, de filles choisies parmi les plus jeunes, les plus belles et les plus spirituelles. À ses frais, on lui donna de la musique, des banquets où les vins les plus chers n’étaient pas épargnés. Cette orgie durait depuis un mois, lorsque notre provincial se souvint d’un ami qu’il avait à Londres. Il l’envoya chercher pour qu’il prît part à ses débauches. Mais l’ami était un homme sérieux qui, non sans peine, décida le séquestré volontaire à sortir du mauvais lieu.

Il fallut payer ce qui avait été dépensé, et la carte s’élevait à 12, 000 livrés sterling (environ 296, 000 francs).

L’ami du provincial s’opposa à ce qu’on le dépouillât. On plaida, et le tribunal jugea qu’un mois de plaisirs incessants dans un bagnio ne valaient que 2, 000 livres sterling, que l’habitant de Southampton fut condamné à payer.

Le plus réputé parmi les bagnios était celui de Molly King, au milieu de Covent-Garden.