Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/291

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Il serait inutile de vous retracer ce qui se passa entre nous cette nuit-là, vous le devinez aisément. Le voyage que j’avais projeté dans la province était désormais hors de question. Le lendemain nous revînmes à Londres.

Pendant la route, le tumulte de mes sens étant suffisamment calmé, je me sentis la tête assez froide pour lui raconter avec mesure le genre de vie où j’avais été engagée après notre séparation. Si tendrement peiné qu’il en fût comme moi-même, il n’en était que peu surpris, eu égard aux circonstances dans lesquelles il m’avait laissée.

Je lui fis ensuite connaître l’état de ma fortune, avec cette sincérité qui, dans mes rapports avec lui, m’était si naturelle et en le priant de l’accepter aux conditions qu’il fixerait lui-même. Je vous semblerais peut-être trop partiale envers ma passion si j’essayais de vous vanter sa délicatesse. Je me contenterai donc de vous assurer qu’il refusa catégoriquement la donation sans réserve, sans conditions que je lui offrais avec instance ; enfin, je dus céder à sa volonté, et il ne fallut pour cela rien de moins que l’absolue autorité dont l’amour l’investissait sur moi. Je cessai donc d’insister sur la remontrance que je lui avais très sérieusement faite : à savoir qu’il se dégraderait et encourrait le reproche, si injuste fût-il, d’avoir, pour un intérêt d’argent, sali son honneur dans l’infamie et la prostitution, en faisant sa femme légitime d’une créature qui devait se trouver trop honorée d’être simplement sa maîtresse.

L’amour triomphait ainsi de toute objection et Charles, entièrement gagné par la tendresse de mes sentiments dont il pouvait lire la sincérité dans mon cœur toujours ouvert pour lui, m’obligea à recevoir sa main. J’avais, de la sorte, parmi tant d’autres bonheurs, celui d’assurer une filiation