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Page:Clemenceau-Demosthene-1926.djvu/125

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DÉMOSTHÈNE

s’honorer eux-mêmes des nobles vies disparues. Il faut la suite des âges pour ces filtrations de pensées. Qui se souvient aujourd’hui que George Washington, un Démosthène muet mais victorieux, universellement honoré dans le monde comme le fondateur d’une de nos plus belles patries, subit, en son temps, l’assaut d’un tumulte de calomnies, et entendit saluer son départ de la vie publique comme la fin d’une ère de corruption, de malhonnêtetés[1] ?

Avant lui, Démosthène avait connu le peuple intelligent par excellence. Quelles acclamations plus flatteuses ? Quelles tentations d’enivrement au spectacle des grands coups de théâtre ? Dans le triomphe ou la défaite, la même simplicité, la même fermeté, toujours. Point d’illusion sur autrui. Il était prêt au pire. Comment se serait-il

  1. « Au cours des agitations du Jay Treaty (avec l’Angleterre), la rage de l’esprit de parti s’est tournée dans son plein contre Washington. Il fut calomnié et outragé de toutes les façons possibles. Il fut accusé d’avoir fait preuve d’incapacité comme général, d’avoir détourné les fonds publics quand il était président. On lui donna le surnom de « beau-père de ses concitoyens ». Il ressentit si vivement les imputations contre son honneur, qu’il en vint à déclarer qu’il préférait la tombe à la présidence. Dans sa correspondance privée, il se plaignit d’avoir été attaqué dans des termes si outrés et si indécents qu’ils pourraient à peine s’appliquer à un Néron, à un notoire concussionnaire, ou même à un vulgaire filou. » (Henry Ford Jones, Vie de Washington, vol. XIV des Chroniques américaines récemment publiées sous les auspices de Yale University.)