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Page:Clemenceau-Demosthene-1926.djvu/76

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DÉMOSTHÈNE

muet, tranquillement assis dans l’assemblée. Moi, je me levai et je parlai. Que si tu n’as rien dit alors, parle du moins aujourd’hui. Dis-nous quel discours j’aurais dû tenir, quelle occasion j’ai fait perdre à l’État ? Quelles alliances, quelles entreprises j’aurais dû conseiller ?… Quand même l’avenir eût été manifeste pour tous, que tous l’eussent prévu, et que toi-même, Eschine, tu l’eusses annoncé, publié à grands cris, toi, qui n’as pas ouvert la bouche, notre ville devait encore faire ce qu’elle a fait, pour peu qu’elle songeât à sa gloire, à ses ancêtres, à la postérité… Si elle eût abandonné sans combats ce que nos ancêtres ont acheté, par tant de périls, Eschine, on t’aurait méprisé, mais non la République, ni moi. De quel front, grands Dieux, soutiendrions-nous les regards de ces étrangers qui affluent dans Athènes, si, par notre faute, nous fussions tombés où nous sommes, si Philippe eût été nommé chef et maître de la Grèce, et que, pour empêcher ce déshonneur, d’autres eussent combattu sans nous… Les Athéniens des guerres médiques ne cherchaient pas un orateur, un général qui leur assurât une servitude heureuse. Ils pensaient qu’ils ne pouvaient pas vivre s’ils ne pouvaient pas vivre libres. Chacun d’eux ne se croyait pas né seulement pour son père et pour sa mère, mais aussi pour sa patrie… Si j’osais dire que ce fut moi qui excitai en vous cette magnanimité digne de vos ancêtres, vous pourriez justement me reprendre. Mais je déclare que toutes vos grandes résolutions sont de vous et que la République, avant moi, pensait avec cette même élévation d’âme. Je dis seulement que quelque part m’est due dans ce qu’elle a fait de glorieux.

Ainsi parla Démosthène, fils de Démosthène de Péanée, quand il fut mis en demeure de se justifier