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LES HOMMES, LES DIEUX

ports des mouvements du monde qui se déroulent sous nos yeux. C’est ce qu’exprime ainsi M. Decharme : « Le mythe est l’acte inconscient et nécessaire par lequel l’esprit de l’homme, encore incapable d’abstraction mais non de métaphores, en vient à concréter les mouvements des phénomènes pour les faire vivre en figures de surhumanité ». Poème des exploits divins, où l’homme, toujours victime de sa propre duperie, se laissera détourner des phénomènes impersonnels par les vocables de personnalités qui vont traduire en action dramatique tous phénomènes mondiaux dont l’observation positive se trouve, à ce moment, hors de portée. Qui ne sait aujourd’hui, par exemple, que le mythe de Démèter et de Hadès, avec le séjour de Perséphone partagé entre la terre et les enfers, n’est qu’un schéma dramatisé de l’alternance des saisons.

Selon les lieux et les temps, le même Dieu se trouvait le héros de mythes différents, parfois inconciliables, et, malgré tout, souvent confondus. J’ai déjà fait remarquer que le soleil éclaire, échauffe, féconde la terre, ou dessèche, brûle et tue. Pour dire ces œuvres contradictoires, ne lui faut-il pas des noms différents, puis des fables tout opposées ? Jaillissant de l’homme en une effervescence de rêves, tous les mythes, en foule pressée, s’élancent éperdument à la rencontre les uns des autres, pour

s’entre-croiser, se rejoindre, se superposer, se séparer et reprendre la suite d’aventures dont la trace souvent s’est perdue. Comment se reconnaître dans cette folle jungle de végétations emmêlées[1] ?

  1. Un distingué correspondant m’écrit à ce sujet : « Apollon, l’un des innombrables Dieux solaires… Est-ce qu’il fut à l’origine, ou devint-il avec le temps, un dieu solaire, le Dieu solaire par excellence ? N’était-ce pas aussi le Dieu d’une tribu déterminée, quelque fétiche personnifié ? Il était surtout vénéré par les Lyciens d’Asie Mineure. Comment vint-il à Delphes ? On connait la légende crétoise. À Delphes il tua le serpent Python, une de ces nombreuses Divinités pythoniennes qui assurent la fécondité des champs, accueillent les âmes des morts, connaissent l’avenir. Pluton est du nombre : c’est lui qui donne la richesse (ploutocratie). C’est cette Divinité locale qu’Apollon supplante à Delphes, il en garda les attributs après l’avoir absorbée. C’était, comme tous ses collègues, un Dieu à tout faire (voir Kreglinger, t. V, p. 71). Pourquoi s’est-il spécialisé dans l’emploi de Dieu solaire ? Quand il tint cet emploi, il absorbe, d’autres Divinités locales d’autres tribus.

    « Un Dieu de la lumière est un Dieu purificateur, il devient facilement un Dieu guérisseur, et Apollon est aussi le Dieu de la médecine. Esculape dut lui