En l’absence d’un dogmatisme de l’Hellène — pour qui (je le répète) le mythe ne fut jamais un article de foi[1] — les peuples, les tribus, les familles, par leurs aèdes, purent librement imaginer, chanter, développer toutes inspirations à leur guise, et ne s’en firent pas faute. Nos mythes des présents jours sont de même source et de même qualité. Seulement, ils sont devenus dogmes, et, à ce titre, ont prétendu s’imposer par des violences de « charité divine » auxquelles notre simple pitié humaine s’est heureusement substituée.
Ces figures célestes sont là depuis des âges. Et si l’évolution des émotivités a fait succéder des temples à des temples, et ces temples eux-mêmes à des constructions de métaphysique — dernier asile des Divinités en mal d’analyse — l’accoutumance héréditaire aux déviations mentales, aggravées de la générale faiblesse des caractères, maintiendra, longtemps encore, les coutumes d’implorations, les demandes de propitiation, les offrandes mystiques qui constituent, hors des proses de l’empirisme, la familiarité des rapports de l’homme primitif avec son monstre d’inconnu divinisé.
Sur la création[2] des mythes et de leur vie hyperboliquement romanesque, il y aurait trop à dire : des encyclopédies n’y suffiraient pas. L’institution doctrinale d’une mythologie est ce qui nous fait pénétrer le plus avant jusqu’aux originelles formations de la pensée. Qui voudra consulter Max Muller, A. Maury, Michel Bréal, Preller, Decharme, Lang, sur ces premières formations de la connaissance au contact des phénomènes en figurations de puissances personnifiées, se
- ↑ Ce mot même de foi n’avait pas le sens déterminé de nos jours. Aristophane, conservateur, montrait les Dieux sur la scène en fâcheuse posture et les réquisitoires contre Socrate et Anaxagore furent bien plus d’une tendance générale que d’une incrimination précisée. On en était encore, plus ou moins consciemment, aux hésitations de l’Inde, en dépit desquelles l’homme s’attache d’abord à quelque mythe particulier, mais dans un sentiment de tolérance universelle dont les chrétiens se sont si fâcheusement départis.
- ↑ Le mot de création est véritablement ici de mise puisque le personnage mythique, né d’un glissement de la langue, n’est fabriqué d’aucune autre substance que d’une dénomination d’humaine sonorité. À ce titre, l’homme, si prompt à se dire « créé », mérite justement ici la qualification de créateur.