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AU SOIR DE LA PENSÉE

chauffage aux fournaises solaires pourrait soudain anéantir.

Ce fut tardivement qu’Athéna symbolique — sagesse et science réunies — put jaillir, tout armée, de la tête de Zeus. Depuis des âges inconnus, nos premiers Dieux avaient pris possession des primitives activités du rêve où se perdait la connaissance. Avec leur culte propitiatoire, les plus séduisantes Divinités ne pouvaient avoir qu’une valeur momentanée d’improvisation soumise aux contrôles d’une expérience à venir.

Seulement, en cette affaire, d’autres questions se trouvaient engagées que la recherche d’une interprétation de l’univers, pour l’avantage de connaître et ses conséquences utilitaires. « La crainte a fait les premiers Dieux ». Soit. Mais en quelles formes d’aspirations, en quels dynamismes d’émotivités ? Sous les mêmes dénominations, les mêmes Divinités, issues des mêmes émotivités humaines, se différencieront, pour manifester des aspects de correspondances avec les mêmes activités cultuelles en d’autres lieux. L’Héraklès de Tirynthe, la Héra de Samos avaient des congénères, comme toutes nos « Notre-Dame » d’aujourd’hui. Nos diversités d’accommodations se préciseront même jusqu’à nous engager, aujourd’hui encore, dans la familiarité de quelque personnage des légendes sacrées comme truchement auprès de la Divinité. Nés de l’homme, les Dieux s’adaptent à leur humain créateur en vue d’une entente réciproque à réaliser. Avec les activités des intelligences en évolution, les Divinités, par nous modelées dans la substance de nos pensées, de nos sentiments, n’étant et ne pouvant être que des figurations agrandies de nous-mêmes, se trouvent dans l’obligation de suivre nos développements. Il faut qu’elles évoluent, puisque nous évoluons. Dis-moi quel Dieu tu as et je te dirai qui tu es, ou plutôt qui tu te dis, qui tu te crois, sans pouvoir te réaliser. Le Dieu suscité de nous pour nous guider, nous suit à tout moment comme l’ombre qui ne peut se détacher de nos gestes, et se voit tenue de se conformer, d’âge en âge, aux développements de nos propres réactions en perpétuel devenir.

En notre compagnie, nos Dieux évoluent donc selon la mesure précise où nous évoluons. Il n’est nul besoin d’entrer dans des raisonnements pour faire comprendre que la cruauté des Dieux primitifs est simplement le reflet de l’état d’esprit qui les fit naître, et que des annales des mentalités divines doit sortir