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LES HOMMES, LES DIEUX

tantôt couverts de sang, tantôt rayonnants d’impeccable beauté, vous avez exprimé des passages d’idéal qui vous assurent, païens ou chrétiens, une place de premier rang dans l’histoire de la pensée. Vous avez connu tour à tour grandeurs et défaillances, mais vous jalonnez encore le lumineux sillon ou les profondes aspirations de l’homme se sont développées. Avec reconnaissance, il nous plaît de nous en souvenir quand Isis ne nous montre plus qu’un voile pour jamais déchiré. Saluons le crépuscule des mystères. L’heure de connaître a sonné.


Les Dieux évoluent.


Du jour où l’affabulation divine du monde eut conquis l’assentiment universel, toutes envolées d’imagination devaient se donner carrière dans le libre champ des poésies effrénées. Mais, avant même que la plus timide observation eût réclamé ses droits, des inquiétudes, des doutes, — honneur de l’esprit humain, — spontanément surgirent, par lesquels commença la grande bataille des idées qui ne connaîtra pas de fin. C’est la gloire de l’Inde d’avoir hardiment, dès le premier jour, aiguisé d’un doute ses divinisations spontanées. Grâce aux méthodes d’expérience, l’avenir nous apparaît aujourd’hui comme l’œuvre indéfinie d’un cheminement résolu de la connaissance vers des approximations toujours plus serrées de rapports — fenêtres closes sur l’absolu. « Vérités » d’imagination, « vérités » d’observation, où subsistent des retentissements d’émotivités ataviques dont nous ne nous détacherons pas tout à coup par le simple effort d’un raisonnement. Jadis on se convertissait en coup de foudre :

Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée.

Aujourd’hui, l’obligation nous est venue d’apprendre lentement, dans une pénible tension de labeur. Et le plus vif du drame restera de ce heurt des puissances dans notre effort audacieux d’une pénétration de la pensée humaine, dans les profondeurs d’un monde planétaire que le moindre accident de