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AU SOIR DE LA PENSÉE

entrevoir, autrement qu’en rêve, la solution d’énigmes qui sont au delà des moyens. Demandant moins à connaître qu’à être secourue, elle s’empresse aux affirmations dogmatique aisément victorieuses de doutes qui réclameront plus tard l’essor de hautes activités à venir. Qu’importe à la plupart une juste compréhension de l’énorme tragédie des choses, si de magiques formules cultuelles lui procurent une paix de rites correspondant aux fins obscures d’une confortable infirmité ?

Douloureusement oppressé du problème, le grand Pascal ne se vit-il pas réduit à nous proposer de prendre à notre compte les chances du probable, en expliquant qu’au pis, le fait de miser sur sa Providence ne nous expose qu’au risque indifférent de nous être trompés ? Se tromper sur la Divinité pourrait n’être qu’un accident de pensée. Mais se tromper sur soi-même, quelles funestes conséquences aux rappels de la réalité ! Il est vrai nous n’avons pas beaucoup moins de peine à contempler sans épouvante le phénomène cosmique de notre destinée ! Est-il donc étonnant que l’inconnu de la mort nous fasse plus de peur que le trop connu de la vie dont les anxiétés nous offrent pourtant le recours aux impulsions ancestrales qui les ont causées ?

Le vulgaire s’aidera fatalement de sa méconnaissance, par nécessité. Mais l’homme, en lutte contre les insuffisantes formules du « savoir », s’il se montre plus difficile à satisfaire, ne sera pas moins pressé que le commun troupeau de croire très vite qu’il a trouvé. Que peut-il faire de sa trouvaille, sinon la communiquer ? Ou sa formule se trouvera cadrer avec les méconnaissances ataviques du sentiment populaire tout imprégné lui-même des primitives défaillances, et ne sera que d’une nouvelle adaptation aux dogmes d’ignorance ; ou il différera, et sera d’une commune voix déclaré ennemi. C’est encore, en des formes mouvantes, le spectacle que nous avons sous les yeux.

Sans qu’il pût être question déjà de distinguer entre l’imagination et l’observation, la voie allait s’ouvrir aux évolutions de la pensée. Et l’agent décisif, il faut bien le reconnaître, fut le premier qui différa : l’admirable « hérétique » dont le nom exécré signifie simplement qu’au lieu de se conformer aveuglément, « il a choisi ». Quel que fût son dire, il demeure le premier