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RÊVER, PENSER

héros, le grand aïeul de nos générations évoluantes, voué à l’honneur suprême d’être traité sans aucun ménagement. Hélas ! il ne pouvait déjà connaître les beaux étais d’expérience irréductible à destination des héros obscurs qui ont suivi. De fortune suprême, peut-être, un orgueil de solitude morale pouvait-elle leur venir, en des formes de réconfort ? La plus belle source d’énergie de l’homme magnifiquement tourmenté.

Qu’est ce donc que l’éblouissement d’un éclair de vie ? Tantôt ouvrir les yeux et tantôt les fermer ! Maudit-on le repos de la nuit après les fatigues d’une journée ? La vie a des splendeurs. Comment oser se plaindre ? Et si belle que soit notre fougue de vivre, aussi bien dans l’amour qu’au service des nobles causes, les plus hautes figures du plus grand rêve, quelles grâces reçues du bienfaisant sommeil qui abrège allégrement de moitié les douleurs et les joies de notre toujours vivante sensibilité ! Heureux recours d’une mort accueillante qui vient couper de néant jusqu’aux fatigues du bonheur, pour nous ramener, en des formes nouvelles, aux chances d’énergies inconnues. Merveilleux apaisement de l’être, comme d’un bel orage d’harmonies supérieures qui s’achèvent en des sensations d’océan étalé ! Une grande paix d’espérances aussitôt réparées que rompues.

Ce bienfaisant accord éventuel de sensations directes et d’illusions organiquement enchaînées nous sollicite à l’action par l’appât d’une vie plus complète, avant de pouvoir nous rendre compte des éléments qui vont la déterminer. Éminente magie d’associer la fiction aux labeurs de la rude journée, pour adoucir des heures de misère par des passages d’heureuse irréalité. C’est le rêve, le grand rêve menteur, chanceusement ailé de vérités en devenir, qui veut l’existence autre qu’elle ne nous fut donnée, et la fera vraiment supérieure, à la condition de nous rendre capable de la composer. La fictive abolition de ce qui est. La merveilleuse vision d’un monde plus « humain » en remplacement de celui dont les heurts ne nous sont pas ménagés.

Aussi, non contents d’agrandir les domaines de la chimère, nous n’aurons point de cesse que nous n’ayons fixé, au hasard des rencontres, des parties de fictions en des formes d’humanité. Musique, danse, poésie, prose, contes, drames, romans, comédies, tout pour une évocation de fantômes qui nous emportent en des vols imaginaires, au delà des attaches de