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CONNAÎTRE

L’idée cartésienne qu’il n’y a rien dans le monde que matière et mouvement doit tenir compte des émotivités qui se groupent autour de tout aspect des choses, dans le principal dessein de satisfaire aux besoins primitifs d’une synthèse d’idéalisme en préparation. Cependant, la connaissance positive se voit tenue de construire le Cosmos mécaniquement, et les « belles âmes », souvent émotives en proportion de l’inconnaissance, se plaignent qu’on ne leur propose point des vues, même hasardeuses, dans le bercement desquelles il leur soit donné de vivre la vie en dehors des chocs du monde objectivé.

Pour l’imagination elle-même, non seulement elle n’est point bannie du domaine de la connaissance, mais elle en est l’une des plus précieuses manifestations. Pouvons-nous discerner la part d’imagination et de science positive qui fut nécessaire à Newton, à Pasteur, pour leurs grandes réalisations ? Que deviendrait la mathématique, sans laquelle il ne peut être de science, si vous en retranchiez l’imagination ? Prompte l’imagination, lente la connaissance. L’imagination lance au delà des nuages des flambeaux d’idéal qui sont comme les phares de l’infini. Tout navigateur sait qu’on se dirige d’après des feux lointains, mais qu’il ne s’agit pas de s’y heurter.

Dans ces données générales, l’imagination laissera plus de champ aux libres impulsions de la personnalité, puisque, du premier bond, elle échappe à tout contrôle, tandis que l’expérience, au contraire, se piquera d’amener, par ses vérifications, l’universel assentiment. D’autre part, car il faut tout dire, les consensus d’imagination n’exigeant guère qu’une assez basse moyenne de connaissance, résistent un long temps aux assauts de l’observation. En revanche, l’assentiment général d’observation qui s’est fait très vite sur les lois de Newton, par exemple, se voit déjà soumis au contrôle d’observations nouvelles dont la doctrine peut ouvrir des aperçus nouveaux. Notre certitude scientifique ne sera jamais que provisoire, puisque toujours sujette à révision. Je me permets d’y voir le signe d’une évidente supériorité de réalisation sur cette vérité subjective, qui se manifeste chez tous les peuples de la terre en des dogmes dits « immuables », mais contradictoires et changeants selon les temps et les pays.

Ainsi, connaître et imaginer (deux façons de penser) sont des