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AU SOIR DE LA PENSÉE

formes de concevoir excellentes pour qui se trouve en état de déterminer leurs apports — dangereuses seulement pour qui ne s’embarrasse pas de les régler. Nous ne connaissons le monde que par ses rapports entre notre mécanisme et le sien dont nous sommes l’un des organes en évolution de sensibilité. Si notre fonction s’accomplit selon sa norme, nous aurons réalisé la juste mesure de notre vie. Mais si nous exigeons de nos complexes plus qu’ils ne comportent, nous fausserons l’appareil, comme l’enfant qui manœuvre les aiguilles de sa montre pour faire l’heure à sa fantaisie. C’est un jeu dont le caprice nous rend très difficile ta justesse des prévisions dont la chance nous est impartie.

Est-ce à dire que je doive m’en tenir à opposer les rigueurs de l’observation vérifiée aux libres écarts du rêve ? Non pas, puisque c’est l’activité organique de l’hypothétique anticipation qui va nous permettre de chercher, par voie de conjecture encore invérifiée, les premiers aperçus d’une expérience d’approximation à venir. En ce sens, rêver ne sera donc, tout comme observer, qu’une des formes légitimes de la pensée dont le contrôle aura pour résultat de consolider nos relativités du savoir. La difficulté sera toujours de nous déprendre des apparences, après nous y être installés.

Qu’est-ce qui meut le fœtus dans l’amnios ? Rêves ? Pensées fugitives ? ou simple irritabilité des organes ? Le passage n’en est pas facile à saisir. Affranchi de la vie utérine, et encore incapable d’une autre forme d’expérience que d’une succession de réflexes au contact extérieur, des constructions de mouvements autonomes constitueront pour chacun son premier effort de mentalité, en attendant l’heure imprécise où il rencontrera, de fortune, ses premiers fragments d’empirisme aux premières réactions de sensibilité. Le tout consolidé, avec l’âge, en des figurations de puissances personnifiées (fables, contes, féeries) où prennent place les premières notions métaphysiques des mythologies[1].

  1. « La métaphysique commence où finit chaque science particulière. Or, celles-ci ont pour limites des théories, des hypothèses. Ces hypothèses deviennent la matière de la métaphysique, qui, par suite, est une hypothèse bâtie sur des hypothèses, une conjecture greffée sur des conjectures, une œuvre d’imagination superposée à des œuvres d’imagination. » (Th. Ribot, l’Imagination créatrice.) On voit le rôle de l’imagination dénaturé dès qu’elle prétend échapper au contrôle de l’observation.