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LE MONDE, L’HOMME

nous aurait pas trop souvent détournés du silence des méditations.

L’émerveillement demeurera l’une des plus vives réactions de notre sensibilité. Encore serait-il bon de savoir jusqu’où le pousser. Regarder pour voir, non pour s’aveugler. L’image sensorielle est d’un premier aspect des choses dont l’accoutumance nous a trop souvent détournés de poursuivre l’analyse. L’effort évolutif de l’intelligence sera de pénétrer au delà des réactions de sensibilité primitive pour entrer dans le cycle des observations positivement liées. Il s’agit aujourd’hui de joindre à l’émotion des choses, dont notre « connaissance » ne pourra qu’agrandir le domaine, une compréhension d’expérience qui nous montrera l’univers encore plus grandiose que notre imagination n’avait pu le rêver.

Le monde, l’homme ? Ils sont là, face à face. Qu’en dire ? Qu’en saisir ? Et comment ? Quels mouvements de l’un à l’autre ? Une confusion de tout à éclaircir. Quels moyens d’aborder l’inconnu ? À quelles fins ? Dans l’indicible émotion de l’immensité qui nous appelle et nous repousse tour à tour, ces questions se présentent aux ténèbres des intelligences à peine formées. Qu’en faire ? Où trouver une clef des éléments ? Et comment s’en servir pour une installation de nous-mêmes dans les spectacles du Cosmos infini ?

Ainsi pouvons-nous mentionner aujourd’hui le choc des réactions primitives d’un état de mentalité exprimant les inquiétudes ancestrales qui se transformeront, mais ne nous quitteront plus. Cette permanence d’émotions, plus ou moins raisonnées au contact des éléments, est ce qui nous caractérise — emportés tour à tour dans les violences ou dans le charme d’une inexprimable agitation qui, nous ne savons comment, nous entraîne nous ne savons où.

L’énigme nous harcèle d’une complexité de problèmes aussi bien que des douteuses certitudes de nos hâtives solutions. À la suite du symbolique Œdipe, qui paya si cruellement l’effort de connaître, tous les maîtres de la pensée humaine se sont rués à l’aventure d’une recherche qui ne finira pas. L’élan n’a pas manqué, ni le courage, ni la persévérance. Quels éclats d’illumination soudaine ! Quels nuages d’obscurité ! Comment la vérité « dogmatique », acquise au prix de tant d’efforts, a-t-elle pu se