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AU SOIR DE LA PENSÉE

un univers justiciable de la raison humaine, qui n’en peut être la cause, puisqu’elle s’en trouve l’effet ? L’interversion des facteurs. Au lieu de mettre le phénomène intellectuel à sa place dans l’ordre du monde, ou il fait figure d’un assez beau moment de rapports, on le transpose jusqu’aux exaltations d’une raison des choses, pour l’asservir à une suprématie d’arbitraire universel dans laquelle il est absorbé.

Cependant, une voix se fait entendre :

— S’il n’était pas tel que je le dis, le monde serait trop dépourvu de consolations.

Qui de nous n’a recueilli ce cri de détresse tout au plus excusable d’un enfant ? Comme si le monde sans bornes était tenu de s’aménager conformément aux vœux de l’impuissance humaine, « inconsolable » de ne pouvoir édicter un ordre mondial aux proportions de ses infirmités. Substitution d’un monde de subjectivité aux manifestations objectives des phénomènes : voila l’effort qu’on nous demande présentement au nom des méprises, trop explicables, des insuffisances du passé.

Contents ou mécontents, nous avons à subir, au même titre que tous les éléments du monde, les inflexibles rapports cosmiques par lesquels nous sommes conditionnés. Le bénéfice humain d’une conscience capable de réfléchir l’univers ne change rien des choses, sinon qu’il nous permet d’opposer aux énergies d’inconscience l’éphémère grandeur d’une compréhension personnelle qui, par ses éventuels relais de planète en planète, pourrait ouvrir dans l’Infini un cycle d’évolutions biologiques au delà de tout achèvement.

Pour nous en tenir à notre planète, n’apparaît-il pas qu’à l’heure où l’homme oserait cesser de se mentir à lui-même, tout témoin de la vie ait le droit de se faire entendre ? Qui se lèvera donc pour refuser à quiconque la chance d’une rencontre de vérité, alors que le commun des hommes parlants laisse plus volontiers imposer à quelques-uns le devoir de « penser » pour autrui ? Les méconnaissances conventionnelles assiègent nos jours et nous maintiennent dans l’assujettissement des magies rituelles sous la maîtrise desquelles, figés dans les satisfactions du moindre effort, il nous est trop souvent échu de gaspiller notre destinée.

Jusque dans ses misères, respectons l’humanité trahie. Mais