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CONNAÎTRE

qu’on ne s’étonne pas s’il surgit parfois de la foule des voix pour apporter le témoignage d’une pensée au-dessus d’un verbiage de mnémotechnie, et prendre acte, avec sérénité, du stage de connaissance d’où nous pouvons contempler l’ensemble des activités conjointes de l’univers et de ses créatures — comme d’un tout fondu dans le commun mouvement.

L’effort.

Il faut bien en faire l’aveu, la plupart des vies humaines se dépensent en de faciles feintes d’un idéalisme parlé - le plus souvent à lointaine distance de la réalité vécue. Les « grandeurs » du verbalisme s’offrent aisément à tout le monde pour des attitudes de « respectabilité ». Quant aux insuffisances de la pratique, elles n’iraient pas sans de notables gênes, si, par la grâce des rites, le sacerdoce ne prenait soin de tout arranger. Rigide ou défaillant, mais généralement mal adapté aux données de la connaissance objective, chacun halète, comme il peut, entre le verbe de bruyantes vertus et des fautes plus discrètes, dans l’attente ingénue d’une éternelle rémunération pour le geste équivoque d’un jour qui ne laissera rien perdre des avantages sociaux du moindre effort.

Heur et malheur ! Quiconque entreprendra de vivre des parties d’un idéal, non plus façonné à la mesure de la moindre résistance, mais librement issu des profondeurs de son être, heurtera d’une façon choquante l’immense majorité de ses contemporains trop aisément disposés à s’accommoder des pratiques traditionnelles d’une vie de soumission éperdue aux fantômes par lui-même évoqués. Subir plutôt que s’efforcer.

Cependant, il est aussi une âpre joie de se tracer à soi-même, dans le chaos des égoïsmes, la noble avenue de grandeurs où se pourra donner carrière une inflexible volonté de vivre tout en haut, à l’écart des clameurs, dans le silencieux orgueil d’un idéal tendu vers les vibrantes réalisations d’une vie discrètement magnifiée. Digne de la haute entreprise de connaître, et de vivre sa