Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
CONNAÎTRE

veuse se déroulant en film de sensibilité. Si imparfaitement sensibles que nous puissions être, le film du Cosmos et le film de l’individu ne cesseront de tourner face à face pour des rencontres de radiations déterminant ces points de contact que nous dénommons phénomènes, et qui n’expriment, au fond, que des relais de notre subjectivité. Ainsi se poursuivront des stages d’une connaissance droite ou faussée, non seulement au passage des sensations, mais dans les interprétations qu’il convient d’y approprier. Car c’est la loi de l’entendement humain de généraliser, de systématiser tous les moments de la con- naissance en une synthèse provisoire d’un « connu » qui détermine les jugements, plus ou moins ordonnés, de l’homme sensible sur l’univers inconscient.

Nous nous trouvons, de cette manière, en état de comprendre que tous les rapports du Cosmos, homme compris, doivent s’harmoniser pour réaliser « l’ordre universel », Cet ordre, nous pouvons en atteindre des parties par des recoupements d’observation, non le circonscrire dans notre relativité puisqu’il est le tout illimité dont nous ne sommes qu’une partie. Mais ce que nous ne savons pas, et ce qu’il nous plaît d’en pressentir, nous pouvons l’imaginer pour lui donner des formes de langage, sinon d’existence, et cela nous est d’un grand réconfort pour vivre, avec notre connu, des aspects supplémentaires d’un mirage d’inconnu accessible à notre imagination. Notre interprétation vaudra selon nos facultés, et notre état de compréhension fera le plus haut intérêt spéculatif de notre vie, dont l’emploi est, en somme, d’ouvrer connu et inconnu (expérience et imagination), pour nous accommoder aux fins de l’ambiance. Sans l’inconnu à pénétrer, quel emploi de nous-mêmes ? Quelle raison de notre activité ? Nous serions Dieux indifférents, sans même l’aventure de l’Eden pour nous révéler quoi que ce soit d’une opposition d’énergies.

Cette peur de l’inconnu qui nous hante et nous a fait tomber dans tant d’extravagances, comment la justifier depuis que nous sommes délivrés des brumes de l’ignorance animale, et qu’à l’exemple de notre bon ancêtre du quaternaire qui, de sa grossière hache de silex, inaugura le machinisme moderne, nous pouvons aborder de front les retranchements des mystères, au lieu de nous borner à propitier rituellement des images. On s’est