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AU SOIR DE LA PENSÉE

décombres. « Mon premier principe, écrit-il, est d’obéir[1] aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute chose suivant les opinions les plus modérées, etc… Après m’être ainsi assuré de ces maximes et les avoir mises à part avec les vérités de la foi qui ont toujours été les premières en ma créance, je jugeai que, pour tout le reste de mes opinions, je pouvais librement entreprendre de m’en défaire. »

Ainsi Descartes, voulant douter de tout, commence par mettre hors de cause les vérités de la foi[2], avec les lois et coutumes qui leur servaient de commentaires empiriques, punissant de tortures et de mort cette liberté d’examen que son propos précisément était de doctriner. Du premier coup se trouvait ainsi ruinée, avant que d’apparaître, l’éventuelle construction d’une positivité sans fondements. Comme on ne pouvait pas faire sortir Dieu de l’observation directe du monde, source de la connaissance positive, il n’y avait qu’à interroger le Moi décevant, création et créateur de métaphysiques fumées, dont l’emploi ingénu était de construire l’univers éternel à la mesure d’un état d’entendement passager.

Or, cette loi et ses coutumes, expressément réservées par Descartes, venaient de faire étrangler Vanini, après qu’il eut subi l’arrachement de la langue par les tenailles du bourreau sur la grand’place de Toulouse[3]. Voilà des œuvres de ce Dieu, de ce Roi devant qui le doute de Descartes s’arrêtait effondré. Le soldat philosophe, dans son « poêle », avait lieu de songer. N’en vint-il pas à essayer de donner le change sur son

  1. Cette anticipation d’obéissance fausse délibérément la position du problème puisqu’il s’agit d’abord de reconnaître le fondement des lois.
  2. Descartes n’en vint-il pas à alléguer que puisque nous concevons Dieu, il faut qu’il soit. Comme si articuler un son, c’était proprement concevoir une somme de connu, alors que tout vocable peut être un signe de méconnaissance ou d’inconnaissance acceptée. « L’impossibilité où je suis de démontrer que Dieu n’est pas, me démontre son existence », disait encore plus absurdement La Bruyère qui, dans la parfaite ignorance du phénomène organique de la pensée, concluait : « Je pense, donc Dieu existe ». Il est vraiment heureux, pour l’honneur de notre intelligence, que nous n’en soyons pas restés là.
  3. Et cela simplement parce qu’un « témoin » déclarait lui avoir entendu proférer des « paroles impies ».