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AU SOIR DE LA PENSÉE

se précipitent à des figurations qui disparaissent aussitôt qu’apparues, et la nuit, sous ma lampe, le tragique clignotement des phares ne m’éblouit soudain que pour m’aveugler soudain d’une nuit plus noire. Troublés d’une contemplation, trop souvent stérile, de nous-mêmes, nous ne pouvons détacher nos sensations d’un ordre universel, où tout ne se sépare que pour se rejoindre toujours à d’éternelles fins de recommencements. Le repos ? Changement. Tout, sauf de demeurer.

Sur la foi des livres « sacrés » de l’homme-enfant, nous nous sommes crus le centre du monde. Mentalement, l’erreur est dissipée. Dans le clair-obscur de nos émotivités ancestrales, le sera-t-elle jamais ? Cependant, l’heure est venue où il nous est possible de rassembler assez d’observations pour commencer à nous connaître en vue des premiers aspects d’un jugement. Folie ou raison d’essayer ? Ce long balancement d’ailes où je jette la crainte eût été jadis un présage d’heureux ou de funeste augure. Qu’y a-t-il dans l’existence au delà de tenter ? Des convulsions d’impuissance ? De hardies entreprises de volontés continues ? La vie est une chance d’oser.


Distinguer, interpréter ce qui est.


Dans l’enchevêtrement des activités universelles qui nous aveuglent avant de nous éclairer, l’effort prime-sautier de notre entendement nous égare dans une forêt d’apparences. Nos erreurs d’improvisations interprétatives appelleront le contrôle d’une observation vérifiée pour essayer de distinguer, peu à peu, ce qui paraît être de ce qui est.

Et même, la tâche, alors, ne sera pas achevée. Car, de cet universel conflit des éléments, dont la première vision de terreur est demeurée inscrite au plus profond de nos théogonies, un choc d’éblouissement nous arrive, où se formeront nos premières sensations d’un inexprimable poème que notre fortune serait de nous assimiler et de développer pour vivre idéalement.

C’est une puissante symphonie de nous-même et des éléments