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COSMOGONIES

dans l’histoire de la pensée, Que nous importe-t-il que la métaphysique hindoue ne veuille rencontrer dans le monde qu’illusion et mensonge, tandis qu’elle découvre l’absolu dans l’être en soi ? Interversion des rapports du cadre cosmique et de l’homme qui y est inclus. Méconnaissance originelle des activités élémentaires, qui fut, pour des raisons que j’ai dites, le premier fondement des plus anciennes « philosophies ». En revanche, lorsqu’il nous est annoncé que « l’acte est la résultante morale d’une série incommensurable d’actes antérieurs, et le point de départ d’une série incommensurable d’actes qui en seront les effets indéfiniment transformés »[1], nous sommes au cœur de la doctrine de l’enchaînement universel.

La métempsychose prétend-elle en conclure que le système d’activités qui constitue la personnalité temporaire doit se transformer en un autre système qui le continue en constituant, dans la succession des êtres, une nouvelle personnalité temporaire pour les rétributions de toutes responsabilités, cette vue déformée du Cosmos (brahmanisme et bouddhisme) a au moins l’avantage de placer l’homme dans un cadre cosmique de positivité, tandis que la métaphysique ne peut vivre qu’au cœur de l’irréalité. Le Karma (Eros), dont s’exclament les simples, se réduit à l’enchaînement des puissances de l’acte déterminé, qui développe immédiatement ses conséquences. C’est la fatalité de l’énergie cosmique sur laquelle nous n’avons de prise que par les actions méritoires qui nous permettront d’échapper aux misères des renaissances par l’heureux secours de la mort, — récompense suprême d’un achèvement de vertu supérieure. Vous avez là, sous le nom de Karma, notre déterminisme le plus caractérisé. Le christianisme, arrachant l’homme de son cadre cosmique, n’a point de ces lueurs. Il n’explique, en effet, le monde que par un coup de volonté surnaturelle, en laissant à la science le schéma des processus sur lesquels elle se réserve, une fois les découvertes accomplies, de prononcer. C’est ce qui l’a conduite au procès de Galilée.

Bien différentes de la haute inspiration des Védas, les féeries de la cosmogonie de Moïse. Le législateur hébreu n’a eu besoin que d’une fable de nourrice pour nouer les rapports de

  1. Sylvain Lévi.