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COSMOGONIES

était établi en pacifique dominateur sur de vagues débris de Divinités épuisées. Dans sa conquête morale des païens, le christianisme de saint Paul, de pacifique enseignement, devint très vite militant par la recherche de la puissance politique, effondrée en même temps que le polythéisme hellénique de l’empire romain. Toute différente la pensée du Chinois, dont les Dieux sont surtout de figurations des Puissances cosmiques. Il en était de même pour l’Inde, et les deux esprits asiatiques vont s’aborder dans les dispositions d’une générale tolérance inconnue de nos contractures d’émotivités.

Le bouddhisme a débordé sur la Chine de sa propre puissance. Malgré l’obstacle de la distance[1], un échange continu s’était établi de sentiments et de pensées. Chemins de fer, ou télégraphes avec ou sans fil, sont de merveilleux agents de communication, j’en conviens. Combien supérieur encore, pour l’idéaliste, l’irrésistible besoin de propager le meilleur de lui-même et d’en recevoir la digne contre-partie dans les plus hautes réalisations d’un idéal auquel il se consacre tout entier. C’est bien ce qu’on découvre dans le débordement spontané du bouddhisme populaire (trop tôt dégénéré, après la gloire d’Açoka) dans l’étendue de l’immense territoire où les grands maîtres Lao-Tseu, Confucius, ne s’étaient point montrés agents de dogmatisme religieux, et dont les Divinités nationales n’exigeaient guère au delà d’un geste de courtoisie.

Les suprêmes revanches du brahmanisme sur le bouddhisme indien expirant et les violences qui s’ensuivirent, sans parler des invasions des Huns, amenèrent des émigrations en masse de religieux pourchassés, tandis que déjà, peut-être, les émotivités naturelles de la Chine acheminaient individuellement d’audacieux esprits vers ce mystérieux Pendjab où le soleil bouddhiste s’était levé. Car il y a des chances pour que Fa-Hsien et Hiouen-Thsang, dans toute leur innocence, n’aient pu s’engager dans cette formidable passe d’inconnu sans l’aide d’indications préalables, pour des relais d’études, au cours de la plus vaste enquête religieuse que le monde ait jamais tentée.

De cette enquête elle-même, je ne puis même donner la plus

  1. Rappelons, toutefois, qu’il avait été un temps où la Chine n’était séparée de l’Inde que par l’Oxus.