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AU SOIR DE LA PENSÉE

indomptable énergie pour vaincre, quinze années durant, d’incroyables fatigues, venir à bout des plus périlleuses rencontres, et soutenir, sans un instant de défaillance, un ensemble d’épreuves matérielles et morales comme l’histoire n’en a peut-être point rassemblé de telles sur une créature humaine jusqu’à ce jour.

Les plus fameux conquérants, qui encombrent nos places publiques des romans de leurs guerres, se sont surtout proposé d’accaparer des étendues de terre à coups de tueries, sans se demander ce qu’ils en pourraient faire, et sans se trouver capables, le plus souvent, d’en rien tirer. Affolés de sauvages ardeurs; on a vu les peuples se ruer à des joies de pillages, de meurtres, de destructions en dehors d’un but déterminé. Tel le coup de folie qui emporta Alexandre dans l’Inde jusqu’à la révolte de ses soldats fatigués d’avancer toujours sans jamais rien rencontrer qui justifiât une apparence de dessein. Tout ce que le Macédonien put faire, fut de mettre sur pied on ne sait quel informe monument pour marquer le terme d’une entreprise sans cause ni prétexte, sans but, sans issue. Les pierres en ont disparu, ne laissant qu’un vain retentissement d’histoire, tandis que des scribes de toutes catégories s’acharnaient à des écritures pour perpétuer raisonnablement le souvenir de l’acte de déraison le plus caractérisé.

Des siècles ont passé, depuis Çakya-Mouni, et le pieux « intellectuel » Fa-Hsien et l’humble moine mendiant Hiouen-Thsang, mus, tous deux, par l’irrésistible désir de s’achever eux-mêmes dans les voies d’un idéal de vérité, ont forcé les portes de l’histoire par l’abnégation la plus parfaite, sans y avoir songé. je veux les saluer au passage, trop heureux si je pouvais induire quelques-uns à comprendre la beauté de la leçon.

Voici donc le pèlerin Fa-Hsien qui se met en route aux premiers jours du quatrième siècle de l’ère chrétienne, suivi, un siècle plus tard, du moine Hiouen-Thsang, confiant en la vertu de ce bol de mendicité que nous retrouverons — ô dérision amère — en or massif, au temple de la dent du Bouddha à Kandy. Ils vont chercher la vérité sur eux-mêmes, sur leur foi, ses fondements, ses effets de solidarité humaine, et loin de vouloir massacrer l’hérétique, vous les verrez innocemment réclamer et obtenir son aide au service du Bouddha, pour l’honneur de toutes parties.

Il y avait quelques siècles, le bouddhisme, par le seul élan de sa propagande, était venu de l’Inde jusqu’en Chine, et s’y