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AU SOIR DE LA PENSÉE

Quoi de plus significatif à cet égard que de voir Newton hors d’état de résoudre les perturbations planétaires par la faute d’une mathématique inachevée, invoquer placidement l’intervention divine pour remédier à cet embarras. Il n’hésite pas à déclarer que « les inégalités, à peine remarquables, qui peuvent provenir de l’action mutuelle des planètes et des comètes, iront en s’aggravant par une longue suite de temps, jusqu’à ce qu’enfin ce système ait besoin d’être remis en ordre par son auteur ». Incroyable candeur de vouloir s’affermir dans une insuffisance humaine en attribuant à la Providence, infaillible, le rôle d’un mauvais horloger qui aurait besoin, à certains moments, d’un coup de pouce aux aiguilles pour parer à l’imperfection de ses engrenages. Et le plus beau, c’est qu’avec le développement du calcul différentiel, la seule loi de Newton sujet à rendre compte des perturbations planétaires. Chacun connaît la contre-épreuve de la découverte de la planète Neptune par Leverrier. Ainsi le voulait la suprême généralisation de Laplace prenant acte, en ces termes, de la stabilité du système solaire et de l’instabilité de nos interprétations : « Parcourons l’histoire des progrès de l’esprit humain et de ses erreurs, nous y verrons les causes finales reculées constamment aux bornes de ses connaissancesElles ne sont donc aux yeux du philosophe que l’expression de l’ignorance où nous sommes des véritables causes. » Sur le monde et sur nous-mêmes une assez belle amorce de méditations !

Cependant, c’est bien le même fragment d’infinité mouvante qui nous éclaire ou nous aveugle de ses mêmes éblouissements de lumière ou d’obscurité. D’où que la flèche lumineuse puisse nous atteindre, la course de notre flambeau, à tous les points de l’horizon, déroule sa fortune de vision droite ou déformée. Comme les animaux de la fable qui voyaient de confiance, dans la lanterne magique, ce que ne leur montrait pas le lumignon éteint du singe, nous nous plaisons à « réaliser » de fictions le phosphène qui jaillit tout vibrant des rétines surexcitées. Aux spectacles du monde stellaire, toutes nos fibres de sensibilité se dressent tumultueuses sous les regards du ciel clignant à des mystères qui n’ont de formules que s’il se rencontre l’homme pour les saisir et les interpréter.

Les astronomes, parfois, imaginent de changer l’aspect de notre ciel par un hypothétique déplacement de leur lunette