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AU SOIR DE LA PENSÉE

leur distribution, sur les amas stellaires, les nébuleuses et notre voie lactée, on n’en finirait pas.

Plus que jamais, les chiffres sont déconcertants[1]. Peut-être les professionnels arrivent-ils à y façonner leur imagination. Quand on me dit que Bételgeuse (d’Orion) a deux cent quarante-huit fois le diamètre du soleil, et Antarès (du Scorpion) quatre cent soixante fois, ou que, placé au centre du système solaire, le globe de Bételgeuse dépasserait l’orbite de la terre, je ne puis m’accommoder à l’affolante hallucination d’un décor trop éloigné de nos mètres planétaires.

Et qu’ajouter encore, lorsqu’il faut bien admettre que l’image actuelle de l’univers, qui nous arrive, pour chaque astre, à des temps variables selon la distance, nous apporte un tableau tout différent de la réalité du jour, puisque chaque étincelle céleste de cette heure représente ce qui fut en des temps antérieurs, et non ce qui est en ce moment. De l’étoile la plus proche, Proxima (du Centaure), le rayon lumineux, à raison de 300 000 kilomètres à la seconde, nous arrive quatre ans après son départ. Nous la voyons donc aujourd’hui telle qu’elle était il y a quatre ans passés. S’éteignît-elle à cette heure, pendant quatre ans encore nous continuerions de la voir. Mettez cinquante ans pour l’Étoile polaire. Chiffrez, si vous pouvez, le nombre des astres avec la distance de chacun à notre observatoire, et pointez, dans cet inextricable imbroglio de divergences, vos hasardeux redressements de réalités. Encore ne dis-je rien de ces amas d’étoiles, de ces nébuleuses gazeuses ou spirales dont les rayons lumineux à destination de notre œil sont partis, gémit M. Maillard, il y a des centaines on des milliers d’années ou de siècles… » Vivons sous le regard attardé des astres flamboyants au passage, et contentons-nous de leur arracher des repères de mouvements qui entr’ouvrent la voie aux mystères d’un autre temps ou même de toujours.

Vainement essayerait-on de chiffrer par millions un nombre

  1. Et combien plus encore si l’on s’avise de déplacer l’observateur ! N’a-t-on pas trouvé que, placés au milieu de l’amas d’Hercule, c’est aujourd’hui seulement que nous parviendrait la lumière émise du soleil 34 000 ans avant l’ère chrétienne. Il n’y a d’étalon de rien dans l’univers. Nous le chargeons de chiffres dans nos enquêtes. Les justes relations nous en échappent nécessairement, faute d’une correspondance des proportions.