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AU SOIR DE LA PENSÉE

t’on à moins parler si l’on se résigne à faire davantage. Le seul bon prêche serait d’exemple. N’allons pas craindre, en ce cas, la fin des divergences. Il restera toujours assez de points pour différer.

Lorsque la droite évolution de l’homme, trop longtemps menacée par des invasions de mythes désordonnés, sera enfin rentrée dans l’équilibre de ses activités, aux contacts de l’expérience, l’humanité, conquise aux justes méthodes de penser, verra cesser le pire des résistances séculaires qui ne l’ont que trop efficacement retardée. Cette fois, ce sera bien le jour d’une humanité ordonnée. L’homme se sera fait lui-même. Il commencera véritablement d’être. Il sera. Il aura été.

C’est une autre entreprise, de nous abandonner sophistiquement aux fictions d’un rêve de servitude sous l’irresponsabilité de nos Dieux. L’inconscience de notre déterminisme[1] nous donnant la sensation d’un pouvoir propre dans notre évolution (libre arbitre) jusqu’à l’achèvement éventuel du suicide, dernier mot de notre « volonté », au moins pouvons-nous attendre ainsi de nous-mêmes les efforts organiques d’énergies qui régleront, pour le bien ou le mal, le compte de notre destinée.

Hélas ! il n’est que trop facile de fabriquer des Dieux à la centaine, et de leur conférer magiquement l’universelle puissance sous laquelle s’effondrent les dernières réserves d’une dignité humaine dans ses rapports d’asservissement à l’absolu. On s’écrie d’émerveillement aux fabrications de la théologie, comme le sculpteur de la légende devant sa création. Comment peut-on comprendre l’incompréhensible, admirer, « aimer » ce qui échappe à nos sensations ? Nous n’admirons vraiment l’univers que depuis qu’il s’offre aux pénétrations de nos analyses et de nos synthèses fragmentaires pour des éclairs de fulgurantes réalités. Il a fallu le radium pour l’éblouissement de l’atome. Adorer son Dieu comme soutien d’une puissance d’impénétrables rapports ne peut être qu’une extase d’aveuglement.

S’abîmer devant une autocratie d’absolutisme, ou « obéir aux lois universelles pour en être obéi », sont deux attitudes qui s’excluent, emportant une contradiction permanente de sentiments, d’activités — d’idéalisme par conséquent. L’inanité du rêve peut avoir des charmes de stupeur opiacée. Connaître, pour

  1. Cf. chapitre II le paragraphe sur le Libre arbitre.