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COSMOLOGIE

être digne de vivre le plus possible, est le sort de l’homme en évolution. Nous ne pouvons nous condamner aux paradis artificiels sans courir à toutes déceptions du chemin. Les rigueurs de la « connaissance », il est vrai, peuvent déconcerter les faibles. Mais nous avons voulu connaître, et celui qui a tendu la main vers le fruit de l’arbre de la science voudra le cueillir encore et toujours, jusqu’à son dernier soupir. Aucun effort, aucune menace du Dieu courroucé ne seront pour le retenir. L’amplitude inexprimable du monde visible, les âpres déterminations du rôle pour lequel il s’y trouve lui-même consigné, confondront l’homme, sans doute. Cependant, la merveilleuse réaction de conscience, aux tumultes du gouffre insondable, ne nous apporte-t-elle pas au moins la splendide sensation d’une autorité personnelle jusque dans les incertaines déterminations de la fatalité ? Ne devons-nous pas aux méprises du « libre arbitre » des films de personnification en désaccord avec les mouvements de la réalité ? N’est-ce pas à peu près ce qui nous arrive au théâtre dont l’artifice nous permet de nous substituer inconsciemment aux personnages pour prendre à notre compte leurs joies ou leurs malheurs au point d’en rire ou d’en pleurer ? Plongés au cœur des rencontres cosmiques, notre problème sera de nous installer dans la haute fortune d’une pénétration progressive des mouvantes réalités de l’univers — assez belle tâche pour qui se trouve digne d’y faire acte d’ouvrier.

Nos premiers ancêtres ont vécu surtout d’une puissance végétative. Selon les degrés de leur connaissance, ceux des âges suivants ont inégalement développé l’effort commun d’interprétations chimériques ou partiellement vérifiées. Et voici qu’au cours de l’effort continu de connaître, phénomène capital de l’histoire des choses, nous en sommes venus à pouvoir fixer une moyenne de connaissances positives qui nous met définitivement en demeure de passer d’une vie d’hallucinations à l’œuvre d’une conscience apportant aux facteurs élémentaires du monde une collaboration d’humanité.

Du point de vue de Sirius, Renan, soucieusement revenu de sa théologie, jugeait que l’homme, avec « ses travaux et ses jours », fait assez petite figure à l’échelle des révolutions de l’univers. Il ne semble pas, en effet, que l’œuvre d’humanité, simplement vue de Sirius, soit, dans l’infini, d’une appréciable importance. Que l’on considère l’univers comme infini, ou qu’on s’en tienne,