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AU SOIR DE LA PENSÉE

de nos Français, encore aujourd’hui, ne savent pas lire, malgré des lois de décor, comment m’étonnerais-je du grand nombre de ceux qui déploient le plus vif d’eux-mêmes pour mettre les intelligences aux ordres de l’inconnu plutôt que de la connaissance. Attendons le recours du labeur ingrat de comprendre, aidé du temps incommensurable.

je voudrais pouvoir reproduire les pages d’une émouvante simplicité où nos savants exposent l’ordonnance générale des activités cosmiques aussi bien d’un astre à l’autre que de molécule à molécule et d’atome à atome. On y admirerait à plein l’égarement des malheureux qui se plaignent, faute d’avoir su regarder les choses ; que la connaissance positive ait pour effet d’en éteindre la poésie, comme s’il se pouvait présenter à l’imagination rien de plus merveilleux que l’univers dans ses réalités.

On trouve admirable la déclaration de Jahveh, renouvelée de Brahma : « Je suis celui qui est ». L’atome, qui se tait, par philosophie supérieure, en pourrait dire autant. L’éminente supériorité de l’atome est que nous pouvons le déterminer, tandis que la Divinité, pour son compte, nous refuse cette satisfaction. Nous ne sommes pas arrivés, nous n’arriverons jamais à l’ultime fin des choses, par la raison que ce terme n’a pas de sens. Mais le seul chemin de l’école a de si beaux spectacles qu’on apprend de plaisir avant les formalités de la leçon. Les prodigalités de l’univers ne peuvent-elles donc plus magnifiquement nous émouvoir que notre enfantine imagerie d’église offerte aux malheureux fidèles pour « élever leur âme », nous dit-on ?

À ciel ouvert, la pensée est en marche, par d’insensibles passages, vers une floraison de problèmes qui nous campent en postures d’interrogateurs devant les éléments du monde d’où nous viennent lentement des réponses de positivité. Une nouvelle puissance s’est fait jour, qui demande des comptes au Cosmos et les obtient. Quiconque cherche des motifs d’admirer a vraiment trouvé son affaire. Si nous voulons du drame et de la poésie vécue, reconnaissons qu’ils ne nous sont pas marchandés. Qui oserait confronter la puérilité de nos mythes avec l’émerveillement des prodiges où l’imagination s’effondre sous les lumières de la réalité ? Hanuman, le singe magicien du Ramayana, transportant les montagnes avec leurs forêts et leurs fleuves, pour que des yeux exercés puissent y trouver l’herbe qui doit