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LES HOMMES, LES DIEUX

sant, par conséquent, d’analogues effets par de moindres moyens, comme le paysan qui tait ses calculs autrement que par nos règles, pour d’identiques résultats. Le besoin suggère à l’oiseau qui fait son nid, l’activité des dispositions nécessaires dans la mise en œuvre de ses facultés. En d’autres formes, c’est ce qui se produisit inévitablement chez nos lointains ancêtres, anxieux de conservation. Tout un monde passe ou a passé par les mêmes stages de progressions, et n’a pu survivre que par les successions d’organismes réalisant les procédures d’une continuité d’évolution.

Quelle sévère leçon, cependant, pour la métaphysique de voir l’instinct animal produire les mêmes effets que l’âme divinisée dont nous est échu le privilège. L’âme et l’instinct ne seraient-ils à des degrés divers que des mêmes manifestations organiques ? Entre la fiction et le réel il faut avoir le courage de choisir. « À un crochet peint au mur on ne peut accrocher qu’une chaîne en peinture, » a dit je ne sais plus quel philosophe anglais cité par Taine. L’effort de la métaphysique est d’accrocher son irréel aux réalités de l’organisme vivant.

L’analogie des organes veut que les sensations de l’animal soient de même nature que de l’humain. Je n’y puis voir qu’une distinction de degrés. Dans l’ensemble, nous nous trouvons placés au plus haut point des évolutions accomplies à ce jour. Ce qui n’empêche pas que, par maint diverticulum d’évolution, certains animaux possèdent des affinements de sensations fort au-dessus des nôtres : carnassiers, abeilles, fourmis, oiseaux, et combien d’autres !

Nous parlons, et les animaux n’émettent point de voix articulée. Fondamentale distinction. Pour le langage il faut une puissance d’analyse, consciente ou non, qui permette l’emploi de signes correspondant à des images fixées en des instantanés de notations. Processus spontanés de l’empirisme formateur du langage qui suscita et développa la puissance de classer des mouvements de rapports, c’est-à-dire de penser.

Essayons de concevoir l’état mental d’un être bloqué de perceptions sensorielles à l’enchaînement desquelles les analyses mnémotechniques du langage n’apportent pas leur secours. Comment s’en pourrait dégager ce que nous appelons la pensée, qui veut une liaison d’états de sensibilité ? Les premiers chaînons d’images, sans doute, demeureraient coordonnés dans les pre-