mières successions du phénomène mental, mais pour être bientôt rompus, faute de repères, comme en témoignent les animaux par des impulsions à court terme, subitement dissociées.
Les pensées sans paroles, comme dans le cadre de l’animalité, pourront être ainsi de courtes impulsions successives sous la pression de nécessités. Pour les développer, il y faudrait la puissance du signe vivifié par l’abstraction et fixé par la mémoire. La fonction fait l’organe, a dit Lamarck, en ce sens que l’impulsion spontanée du besoin à satisfaire ne s’arrête qu’au besoin satisfait[1], en attendant des sollicitations nouvelles. En suite de quoi l’organisme, progressant, amènera l’araignée à filer sa toile, comme la fourmi-lion à l’établissement de son piège — tous résultats d’une attentive observation, avec des adaptations héréditaires de moyens. Une puissante impulsion de sauvegarde conduira l’oiseau à se défier du grain dans des lignes d’arrangements qui ne sont pas ceux de son expérience. Enchaînements rigoureux qui s’interrompent tout à coup, par carence des jalons verbaux de mnémotechnie, aux moindres changements. C’est ainsi qu’une abeille, à quelques pas de sa ruche déplacée, ne peut retrouver sa demeure, et qu’un pigeon voyageur récemment installé dans mon colombier y revint, après deux jours d’absence, mais sans pouvoir rejoindre sa femelle sur ses œufs, parce que l’entrée oblique, à vingt centimètres de distance, exigeait un degré d’observation au-dessus de ses moyens. Nous ne savons rien des repères de l’oiseau migrateur impliquant des achèvements de sensations inconnues.
- ↑ Aussi la vraie formule me paraît-elle être : « Le besoin fait l’organe ", puisque la fonction, c’est-à-dire l’activité de l’organe, ne peut précéder l’organe lui-même. Le besoin, c’est ce que le sanscrit dénomme Karma, la destinée, et le grec Éros, le désir, soit l’activité même de l’organe en réalisation du devenir. L’expression d’un moment du mouvement cosmique, aujourd’hui dénommée l’énergie évolutive, qui fait jaillir le présent du passé en fonction de ce qui a été et de ce qui va suivre. Cette abstraction désigne, en somme, par un pur artifice de verbalisme, tout ce que nous pouvons atteindre de l’ultimité des choses. Encore faut-il, pour cela, séparer activement le substratum (que nous ne pouvons saisir lui-même en dehors de l’énergie) de cette énergie que nous ne saurions concevoir en dehors du substratum. En cette forme de subjectivité le besoin universel commande l’élément et, par là, l’organe, dans les lignes de l’évolution pour d’universels changements d’accommodations. Le besoin fait la liaison des évolutions.