tance par le vocable, a fatalement pris rang d’existence objective, dans les coordinations de notre pensée. Nous tenons là l’ultimité du phénomène, l’abstraction réalisée de Locke, qui, par la personnification du verbe abstrait, va devenir mère des théologies de tous dogmes et des métaphysiques de toute ingéniosité. Une déviation de la pensée dans l’inconscience du glissement des mots. Cette aberration de la parole et de la pensée enchaînées, personne ne se fera faute de lui faire confiance pour la développer à l’infini. Des savants eux-mêmes n’en sont-ils pas venus à nous parler d’une dématérialisation de la matière pour instituer un culte « scientifique » de l’énergie, c’est-à-dire d’un vocable d’abstraction qui ne nous représente rien en dehors de la substance hors de laquelle il ne peut se manifester.
La nécessité où je me trouve d’entrer dans le mécanisme des abstractions divinisées, est mon excuse pour appuyer sur les circonstances du phénomène dans l’espérance d’accroître toutes chances de clarté. Car il faut pénétrer jusqu’au cœur de nos disciplines de transpositions et d’interprétations, subjectivement compartimentées, qui donnent vie à nos pensées, et que, pour cela précisément, nous tendons à réaliser au delà de nous-mêmes. Allez donc dire aux gens que le mot n’a pas nécessairement une correspondance d’objectivité, et qu’il ne suffit pas de nommer Dieu pour le réaliser[1]. Nos imaginatifs hausseront les épaules. Que font-ils, cependant, sinon de se prendre avec ferveur à des sonorités de verbalisme leur permettant d’exprimer l’absolu, c’est-à-dire l’inexprimable, par de simples négations de relativités[2]. Ils peuvent fabriquer des mots qu’ils adorent, mais cela n’en fait pas des réalités.
En résumé, sous mille formes d’inconscience, nous nous efforçons de penser notre vie dans un monde d’entités magiquement substituées au monde de réalités positives où nous sommes survenus. Fabricateur de son propre miracle, l’homme se laisse prendre puérilement à la virtuosité du mécanisme par lequel il