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notre planète

accord avec tous complexes de relations élémentaires qui déjà permettent au cristal, comme à l’élément anatomique, de réparer ses blessures dans le sens d’une formation déterminée[1]. Rien de plus, rien de moins que le phénomène de l’universelle évolution d’un éternel devenir qui ne se peut disjoindre en aucune partie de ses enchaînements. Le prétendu « saut » d’un phénomène à l’autre n’atteste que notre insuffisante perception des passages. Acte soit donc donné à nos humbles, mais éminents, protozoaires d’une authentique généalogie qui ne le cède en rien aux titres orgueilleux de nos féodalités. Pas plus de place pour le surnaturel du phénomène vital, qu’en aucun autre point de l’enchaînement élémentaire. Vivre, c’est se mouvoir conformément aux lois du Cosmos.

Vivre, c’est sentir, retentir des phénomènes de résonnance qui enregistrent, en fulgurances d’éclair, des réactions d’ondes extérieures dans l’intimité du for intérieur organiquement déterminé. Avant d’en arriver aux complexes de sensations constitutives d’un état mental, il a bien fallu accepter, pour point de départ, les originelles mises en action de la sensibilité organique. Tout le reste s’ensuit. Puisque nos mots, d’imaginaire fixité, ne peuvent exprimer que des rapports de mouvements (unique objet de notre connaissance), quiconque veut se représenter la réalité des choses, doit s’alléger, avant tout, de la trompeuse illusion d’une stabilité, ou nous voudrait retenir l’apparente fixation d’un signe vocal pour la caractérisation de l’éternelle mobilité.

Le verbe, qui précise les déterminations du phénomène mental, tend à nous décevoir, et nous déçoit, en effet, au moment même où il nous éclaire, par l’insuffisance des rapports du signe et du phénomène signifié. Heureusement, si notre loi est de nous élancer d’abord au-devant de fantomatiques lumières, cette même loi veut aussi que nous nous montrions capables d’éprouver la consistance de formules imaginatives qui ne peuvent satisfaire l’ignorance qu’au risque de l’égarer. L’essor déréglé de nos envolées verbales est le premier stage d’un développement intel-

  1. Ne semble-t-il pas que nos complexes minéraux témoignent ainsi d’un mouvement de cohésion renforcée, ébauche primitive d’un « organe » en devenir ?