Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
l’évolution

d’humaine sensibilité aux passages des mouvements cosmiques dont la frappe nous est, pour un temps, demeurée. Mon premier mot, au début de cet ouvrage, a été pour en prendre acte. Alléguer qu’il n’y a rien dans les « faits », c’est-à-dire dans nos sensations des phénomènes, qui puisse forcer la conviction de ceux qui ne se soumettent qu’aux disciplines de l’interprétation des activités cosmiques, c’est s’en tenir, pour le charme de la théorie, à une gamme de sensations ordonnées. Si nous ne pouvions qu’aligner des « faits », nous ne serions, comme une table de Pythagore, qu’une machine à numération. Mais notre pensée se forme de classements de rapports, et l’on comprend fort bien que rapports et classements ne se présentent pas tous avec le même degré d’évidence. Si nous étions assez fous pour attendre ce plus que miracle, notre vie d’expectative se passerait au plus noir d’un bourbier d’inconnaissance. Sagement, nous nous contentons de noter des nuances de certitude, de l’hypothèse à l’expérience cruciale, sans nous croire obligés d’attendre, jusqu’à la fin des temps des vérifications qui pourront se présenter ou faire défaut selon les formes de notre évolution.

Comme le prisme frappé par le rayon solaire nous envoie le spectre des éléments de lumière, ainsi la formation de connaissance, sous les résistances du Cosmos aux pénétrations de l’entendement humain, se résout en un spectre d’assimilations élémentaires, diversement nuancées de l’hypothèse à la vérification dont la gamme fait notre arc-en-ciel du savoir. Au lieu de l’homme imaginé par M. Delage, qui ne s’arrêterait qu’à l’observation des faits, toute nue, sans tenir compte des enchaînements de phénomènes et de leurs interprétations, nous avons simplement devant nous (et c’est « un fait » aussi), ceux qui parlent avant d’avoir observé et ceux qui observent avant de dire. M. Delage a beau mettre son orgueil de savant à raffiner toutes objections contre lui-même, il n’en est pas moins assuré que l’hérédité et la variation sont des « faits » aussi solidement établis qu’il est possible, et que les alternances de leur interaction ne peuvent aboutir qu’à des rythmes de renouvellements dits transformations.

Aussi n’est-ce pas l’argument de M. Delage qui nous est opposé puisque sa conclusion est identique à la nôtre. C’est la légende biblique. Tenons-nous en donc, comme lui-même, à la théorie de la descendance, de Lamarck et de Darwin. Nous pos-