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l’évolution

présence d’un mot, à quoi le rapporter sinon à une activité, à une existence, à une entité, aussitôt dite que réalisée ? Et quand arrive l’épreuve de l’observation contrôlée, comment ne pas préférer, du premier bond, l’interprétation entitaire aux dédales des évolutions organiques quand l’accord de la foule est si facile à faire sur une présomptueuse dénomination de néant. Le mot, ici, fait l’office de l’X dans une équation d’algèbre, avec cette différence capitale que l’X représente ouvertement un point d’interrogation, tandis que les mots vie, intelligence, pensée, n’ont que l’apparence d’une solution — ce qui suffit pour la commune acceptation.

Cependant, l’effort de connaître ne nous laissera point de relâche. Il est trop simple de préjuger le phénomène psychique, dont le dogmatisme prend la charge à son compte, en vue de faire accepter, bouche bée, des solutions fabriquées à l’usage de ceux pour qui parler c’est penser. Je n’ignore pas que nous avons pris soin de réserver les mots de sensibilité, de conscience, de pensée, pour désigner les manifestations supérieures d’un psychisme dont Descartes nous réservait l’exclusivité, comme si nos classements de verbalisme pouvaient rien changer de l’ordre naturel des choses, qui ne connaît point de compartimentation. Mais, après l’effondrement du machinisme cartésien, que reste-t-il de cette inexcusable aberration ? Ne voyons-nous pas, dans la série animale, le psychisme caractérisé se manifester avant même l’apparition de l’organe où se concentrera le potentiel du phénomène. C’est ce qu’a nettement reconnu Lamarck en termes exprès : « Si les formes les plus élevées du psychisme exigent la présence du système nerveux et de l’association de cellules nerveuses, il ne s’ensuit pas que ses formes les plus basses ne puissent se développer là où il n’y a ni association de cellules nerveuses, ni même de système nerveux. »

Et Betcherew :

« Les organismes les plus simples manifestent un choix indépendant de leurs mouvements. Ce choix indépendant prend sa source dans l’élaboration interne des excitations externes : force est donc d’admettre que, malgré l’absence du système nerveux, ces organismes possèdent tout de même une activité psychique, fût-elle la plus élémentaire. L’absence chez eux de système nerveux n’a pas, à nos yeux, de valeur essentielle dans