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l’atome

« Les gaz, écrit-il, sont formés de molécules qui circulent dans tous les sens avec de grandes vitesses. Leurs trajectoires seraient rectilignes si, de temps en temps, elles ne se choquaient entre elles, ou si elles ne heurtaient les parois du vase[1]… » Or, ces lois ne sont pas seulement vraies des gaz. Mêmes lois générales de la dynamique applicables aux liquides et aux solides. Ainsi, l’aspect commun des choses se trouve soudainement transformé. Le solide lui-même n’est qu’un grouillement. Atomes mouvants d’électricité, de magnétisme, atomes d’énergie (atomes d’espace, atomes de temps, même, a-t-on dit)[2], voilà où nous conduit, par des chemins de fleurs, la théorie, à peu près vérifiée des quanta[3], formule qui révolutionnerait nos conceptions actuelles des mouvements du monde par la constatation d’un ordre fondamental de discontinuité. Cependant, « le premier qui a vu un choc, écrit M. Henri Poincaré, a cru observer un phénomène discontinu, et nous savons aujourd’hui qu’il n’a vu que l’effet de changements de vitesse très rapide mais continus. » Notre savant ne se risque pas au delà de cette affirmation encore irisée d’hypothèse. Le lecteur me pardonnera de l’avoir mené, en si brillante compagnie, jusqu’à ces coups de sonde dans l’abîme, avec les précautions nécessaires pour éviter ce qu’il se peut des vertiges de l’incoordination.

« La théorie cinétique des gaz[4], formule le même auteur, a reçu, pour ainsi dire, des étais inattendus. De nouvelles visions se sont exactement calquées sur elle : ce sont, d’une part, la théorie des solutions, et, d’autre part, la théorie électronique des métaux.

  1. Dernières pensées. L’hypothèse des quanta.
  2. Le mot atome est ici employé, comme jadis, dans le sens d’une ultimité, et non, comme aujourd’hui, pour exprimer notre sensation d’un substratum d’énergie. M. Henri Poincaré, en quête de généralisations simplifiées, ne craint pas de faire sienne la formule d’après laquelle les atomes en mouvement ne seraient que des sortes de sillages électriques dans le milieu propagateur des ondes qu’on appelle l’éther. Ce sont des trous dans l’éther, répète-t-il après Lorentz, sans broncher. J’ai beau me mettre la cervelle à la torture, je ne vois pas bien comment on peut construire un corps avec un aussi grand nombre de trous qu’on voudra, — reliés par des sillages de ces trous en mouvements.
  3. C’est-à-dire des émissions d’énergie par quantité déterminée, ou quantum.
  4. La théorie cinétique des gaz nous les montre composés de molécules lancées dans toutes les directions. De même pour les liquides et les solides qui sont de perpétuels tressaillements.