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l’évolution

question de l’apprentissage, c’est-à-dire de l’éducation. Des expériences formelles montrent certains insectes capables d’apprendre. Par ce nouvel enchaînement d’habitudes lamarckiennes, un grand pas d’évolution est franchi. Mêmes observations pour les crustacés.

M. Bouvier note, d’ailleurs, que la puissance d’association mnémotechnique est très variable non seulement entre les espèces mais entre les individus de la même espèce. Avec non moins de raison, observe-t-il encore que « certaines sensations se gravent rapidement dans les centres nerveux et donnent naissance à des réactions motrices qui prennent très vite un caractère automatique… Et si tel est le résultat obtenu pour un court apprentissage expérimental, on est en droit de penser que l’apprentissage naturel conduit bien plus sûrement encore à des habitudes automatiques, car il est le fait des conditions de milieu ou se trouve l’animal, conditions qui agissent en tout temps sur lui et sa descendance. » Observation capitale sur le mécanisme de l’évolution, et sur le secours qui peut lui venir de l’éducation. Dans les espèces supérieures, l’apprentissage se fait communément sous nos yeux. Sur nos routes, nous avons vu les chiens, les chevaux s’accommoder progressivement à l’automobile. Les poules, cependant, continuent de se jeter sous la roue, tandis que la vache stupide s’obstine, sans même nous faire l’honneur d’un réflexe, à barrer le chemin. Les chiens, si agressifs autrefois, sont devenus à peu près indifférents.

Partis de l’automatisme physico-chimique des tropismes, nos actes conscients demeurent encore tout proches d’un retour à l’état originel qui retentit encore dans l’abréviation des réflexes chez les animaux pourvus d’un système nerveux. Cette oscillation ou, pour dire le mot juste, ce rythme qui va du tropisme inconscient à l’énergie d’une conscience plus ou moins caractérisée et vice versa, explique tout naturellement les énergies d’atavisme qui retardent si puissamment nos efforts d’observation désintéressée. Nous sommes là au plus profond des compositions de nos activités. Les modifications spontanées des habitudes manifestent l’activité évolutive, en opposition aux retardements du tropisme automatique qui sont l’une des lois fondamentales du Cosmos. Par l’accroissement des énergies, l’amplitude des oscillations va grandir — l’automatisme