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au soir de la pensée

général jusque dans les parties d’antagonismes qui jouent leur rôle dans nos moments « d’harmonie ».

L’harmonie des organes, manifeste dans tout organisme, nous est donnée, par nos métaphysiciens ; comme un argument décisif en faveur de l’entité principe vital, animateur des concours synthétiques dont la cohérence constitue la vie. L’école de biologie comparée répond qu’à l’exemple des formations physico-chimiques, toutes les formations organiques sont éventuellement possibles pour un temps, à la condition de pouvoir se défendre et se reproduire — ce qui demande nécessairement une harmonie automatique de fonctions[1]. Tout ce qui n’atteindrait pas cette harmonie durable ne pourrait que disparaître aussitôt qu’apparu, — supposé qu’il ait pu s’ébaucher quelque commencement de formation. Alors, pourquoi l’harmonie de la cellule ou de l’organe serait-elle plus merveilleuse que l’harmonie du cristal en faveur de qui l’on ne nous demande point de principe vital ?

L’hybridation pourrait multiplier les espèces à l’infini. « Le nombre d’espèces qui existent aujourd’hui n’est qu’une fraction infiniment petite de celles qui peuvent et pourraient, à l’occasion, prendre naissance, mais qui nous échappent parce qu’elles ne peuvent ni vivre, ni se reproduire. Il ne peut exister que le nombre limité d’espèces qui ne présentent pas de trop vives désharmonies dans leur mécanisme automatique de préservation, de conservation, ou même de reproduction. Désharmonies ou essais défectueux sont de règle dans la nature. Les systèmes harmonieusement coordonnés sont une rare exception. Mais de ce que ces derniers seuls nous apparaissent, nous recevons l’impression fausse que l’adaptation des parties au plan de l’ensemble est, pour la nature animée, une caractéristique générale et spécifique par où elle diffère de la nature inanimée[2]. »

Sans doute, l’évolution a déjà fait et continuera de faire son œuvre d’adaptation, c’est-à-dire d’atténuation des discordances originelles. Ainsi s’apaiseront nos commencements de sauvagerie. Par là voyons-nous que cette « morale » et cette « civilisation », dont nous sommes si fiers, sont surtout des successions d’accommodements, plus ou moins heureux, entre l’égoïsme

  1. Roux.
  2. J. Loeb, La Conception mécanique de la vie.