Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
l’évolution

de lui dire qu’il ne pouvait se connaître qu’à la condition de connaître l’univers d’abord.

C’est ici que la question préalable se présente de savoir si l’univers est aux fins de l’homme, contrairement aux observations de positivité, ou si l’homme n’est qu’un moment passager du Cosmos infini. La solution n’en peut être remise aux décisions de nos émotivités. Il faut donc que l’expérience vérifiée prononce — plaisante ou déplaisante pour l’esthétique de nos conceptions primitives et des conséquences qui y sont attachées.

Irrésistiblement, l’homme tend à connaître. À ses connaissances, telles quelles, il doit s’accommoder. Ses sensations de primitivité ne sauraient s’imposer à la connaissance positive qui le met à son rang. La prophétie d’un dénouement n’en crée pas la réalité. L’heure est donc inévitable où, dans l’enchaînement des successions d’énergie, l’homme, phénomène de l’espace et du temps, doit rapporter ses stages d’évolution à l’océan d’infini dans les remous desquels il n’est apparu que pour être aussitôt submergé.

Un éclair de sensibilité idéalisée, cela paraît de peu de compte au regard de l’univers. Il n’en est pas moins vrai, selon le mot classique, que je suis subjectivement supérieur à l’univers qui m’écrase si je sais, quand il l’ignore, qu’il va m’écraser. Je reconnais, qu’il n’y a point de supériorité objective, puisque, dans l’enchaînement universel, tous les phénomènes sont d’une même valeur de chaînons. Pourtant, le fait que le monde se réfléchit en ma conscience, et que je réagis en sensations et en jugements demeure le phénomène capital de mon existence. Ce qui est en jeu, dans cette affaire, ce sont les rapports du Cosmos, c’est-à-dire de l’Infini, avec les relativités du complexe élémentaire qui fait l’individu.

L’idée seule d’un dénouement par lequel nos aïeux inaugurèrent leur construction des choses est contradictoire à l’éternelle autonomie des éléments. La suprématie de l’infini s’impose à toutes les formes d’existences passagèrement disséminées dans l’espace et le temps. La permanence des formes changeantes, tel est encore l’objet de nos vœux ingénus. S’opposer en cette forme, au monde, c’est proprement s’y substituer. Entre le monde et nous, il ne peut y avoir — et c’est déjà merveille — que des rencontres d’oppositions et d’accommodations ou le der-